Giorph, planète condamnée. Dior était soucieux, la situation se révélait pire encore qu’il ne l’avait pensé. Aussi allait-il d’un pas ferme accomplir son devoir. N’était-il l’attaché scientifique du grand palais, membre du conseil des savants ? Mais Il ne se faisait aucune illusion, Il connaissait trop l’incrédulité des patriciens devant ce qu’ils nommaient, la tendance à noircir des savants. Comment ces aveugles politiciens pourraient-ils admettre cette triste réalité que lui-même avait peine à croire ?
- Alors maître Dior, déjà de service de si tôt matin ? Si tôt ? A Neuf heures ? Il détailla l’homme affalé sur le divan, environné de coupes remplies de fruits subtils et de fonctionnaires serviles. Quarante ans, et déjà bedonnant, empatté, graisseux. Lui qui trimait tout le jour éprouvait un peu de rancune envers les oisifs. Ils disaient travailler durement pour administrer le pays, mais ce n’était que de la propagande pour le peuple. - Hélas, la triste réalité n’a guère d’égard pour les cheveux blancs. Dio sourit de l’image qu’il avait donnée de lui-même. Eh oui, il était un vénérable ancêtre, la soixantaine déjà, que la vie passait vite. - De mauvaises nouvelles me commandent en effet de vous faire sans tarder mon rapport, seigneur. - Tu n’es qu’un oiseau de mauvaise augure, Dior. Tu va encore m’importuner avec ces soi-disant météores, agents de mort. Au diable tout cela ! Sache que le peuple a besoin d’être rassuré et contenté. On ne fait pas de bonne politique en jouant les cassandres. - La nature ne suit malheureusement pas une telle logique, seigneur, et le danger est encore plus important que prévu. Il n’est plus question de faire plaisir au peuple, mais de sa survie. - Tu m’ennuis, Dior. S’il ne s’agit que d’un météore, ne peut-on le pulvériser ? Notre science est puissante, sacrebleu ! N’avons-vous pas réussi jusqu’à percer les secrets des voyages spatiaux eux-mêmes ? Dior maudit l’étiquette qui l’obligeait à répondre en langage fleuri, perdant ainsi un temps précieux. - Mais ne pouvant atteindre une vitesse suffisante, l’accès aux étoiles nous est interdit, noble patricien. - C’était inutile, nous ne l’aurions de toutes façons pas autorisé. Nous ne pouvons permettre au peuple de s’éparpiller à travers l’espace, il échapperait à notre contrôle. - Quelques fusées ont cependant été construites. - Mais réservées aux seuls patriciens. D’ailleurs elles ne sont jamais sorties de leur hangar. - Quoiqu’il en soit, notre science a ses limites, mais la nature n’en a pas. Ce qui nous menace aujourd’hui n’est pas une vulgaire météorite, mais un véritable astéroïde comparable à la lune quand à sa taille. Nos calculs prouvent qu’il frôlera dangereusement Giorph, et les conséquences seront effroyables : ras de marée, secousses telluriques, activités volcaniques, chaleur intense, que sais-je encore ? Il vous faut prendre des mesures d’urgence, l’avenir même de notre race est menacée. - Des mesures d’urgence ! Vous n’avez pas la charge des affaires de notre planète, que je sache, et je n’ai pas d’ordre à recevoir de vous. Vous n’êtes qu’un conseiller, souvenez-vous-en ! - Vos dires sont vérité seigneur, mais les choses sont ce qu’elles sont. J’ai avec moi un rapport, qui fondé sur des relevés précis démontre irréfutablement que… - C’est inutile, balaya d’un geste le patricien, vous savez très bien que je n’y comprends rien, et que vous prétendues preuves ne sont rien pour moi. - Vous pouvez faire confiance à ceux qui savent. - Taisez-vous, insolent ! Parlons francs, maître Dior, votre famille est patricienne, de quel coté êtes-vous ? Avec nous ou avec les savants ? Etes-vous fidèlement attaché à la noblesse ? - Je vous suis en tout dévoué, et le restera toute ma vie. - Très bien Dior, très bien, approuva l’autre en souriant mielleusement. Entre nous, ne crois-tu pas qu’ils exagèrent à dessein les risques. - Oh non ! Il se reprit en captant un regard de méfiance du patricien. Enfin, peut-être, je ne sais pas. - Je te le dis tout net, nous ne céderons pas devant cette manœuvre des savants, nous craignons fort un complot. Ton aide nous sera précieuse pour le déjouer, ouvre grand tes oreilles. Dior se devait de faire une dernière tentative : - Pourtant, ces preuves me semblent exactes. - Ils t’ont trompé car ils se méfient de toi de part ton origine. Ne t’inquiètes pas, il n’y a pour l’instant aucun signe tangible, et s’il y en avait, il serait toujours temps d’aviser. - Vous n’en aurez pas le temps si ce qu’ils disent est vrai, seigneur. - Rien ne nous fera changer d’avis. Et je compte sur ton aide pour mettre à jour cette trahison. - Vous pouvez être assuré de ma loyauté, seigneur. Et Dior prit congé en sortant à reculons. Il avait sauvé sa vie. Le patricien regarda longuement la porte par laquelle était sorti Dior, pensif, avant d’appeler la police pour leur ordonner de mettre Dior sous surveillance.
Dior se savait surveillé. Sa loyauté n’était pourtant pas feinte, mais celle envers les hommes prédominait. Et Dior était assez savant pour juger des preuves, il savait que la planète était condamnée. Il devait avertir d’urgence le conseil des savants, l’heure était venue de construire une retraite sûre, pour donner à l’homme une chance de conserver au moins son patrimoine scientifique. Mais il n’était malheureusement plus possible de sauver les autres giorphiens.
Le grand palais se dressait tout en haut de la colline. On pouvait tout juste le deviner dans la pénombre du crépuscule. Les quelques torches qui permettaient aux fonctionnaires de travailler tard ne suffisaient pas à le révéler. Sur les pentes, les villas chics de l’élite se pressaient contre le palais, si serrés qu’elles semblaient en constituer les fondations. Enfin, tout autour il y avait les masures de la plèbe. Voilà comment se présentait la capitale de Giorph. Dans les bas-quartiers, un jeune garçon était assis, triste et abattu, sur les marches encerclant une fontaine, laissant vagabonder ses pensées au rythme de son désespoir. Il ne voyait pas l’animation de la grande place commerçante autour de lui, ni les cortèges de piétons qui venait faire les achats journaliers, ni les appareils antigravs des patriciens, ni les boutiques aux étalages sans âme. Son seul malheur était d’appartenir à la plèbe. Il n’avait que dix-huit ans et sa vie était déjà tracée. Car personne ne pouvait sortir de sa condition. Son rêve aurait été d’accéder au savoir. Mais pour avoir quelque chance en ce domaine, sans tuer père et mère, il fallait naître fils de patricien ou de savant. Car le monde de Giorph reposait sur un système de castes très rigide. Tout était déjà fini pour lui, à moins d’un miracle. Mais ne circulait-il pas justement dans les bas fonds des rumeurs sur une bien mystérieuse affaire ? Stix, car ainsi se nommait le jeune homme tressaillit quand un inconnu le tira soudain par la manche. Fort irrité d’être dérangé dans ses rêves, Stix eut du mal à prendre le masque de l’humilité qui convenait à sa condition pour détailler l’importun. Mais son visage des plus commun ne le renseigna guère. Seule la robe grise monastique indiquait peut-être quelque chose. Cela pouvait être un moine ou un mendiant. Dans le doute, mieux valait rester prudent, d’autant qu’il n’était pas plus reluisant lui-même. - Sais-tu ce qu’on dit ? - La question de l’étranger le désarçonna. Il resta prudent. - De nombreuses histoires sont colportées de bouche à oreille. - Et à propos d’un patron offrant un travail avantageux à des gens discrets ? - Celle-là entre autres - Chercherais-tu du travail ? - C’est possible, mais à condition qu’il soit honnête. - Je ne te propose rien de répréhensible, sois rassuré, et ce serait bien payé. Stix aurait été fou de refuser, pourtant les conditions par trop alléchantes de cette offre le rendait méfiant . - L’argent ne suffit pas, il faut aimer ce qu’on fait L’inconnu sourit mystérieusement. - Pour ça, un mot suffira à te convaincre. - Lequel ? - Tu travailleras pour les savants. - Pourquoi ne l’avez pas dit plus tôt ?
Le lendemain, il se trouvait à la même place, mais, cette fois, l’humeur de Stix s’était modifiée. Plus de tristesse, il attendait joyeusement son contacte. Plongé dans ses rêves, il ne vit pas deux hommes à l’uniforme noir pailleté d’or s’approcher subrepticement de lui. Ils l’immobilisèrent avant de dire : Sujet Stix, au nom des suzerains de Gioph, je vous arrête.
- Tu te nommes Stix, et tu n’es qu’un vil plébéien. Il y a deux jours, tu as été contacté par les savants. Maintenant écoutes, ta peau ne vaut rien, aussi je te conseille d’être bavard et de ne rien nous cacher. - Je ne comprends pas de quoi vous parlez seigneur, je ne suis qu’un jeune sans avenir, respectueux des édits et des patriciens, répondit-il avec humilité. - Ne t’amuse pas à ce jeu-là, plébéien, il n’est pas dans les moyens de ceux de ta condition. Je connais des méthodes pour faire parler les traîtres dans ton genre. Alors, si tu étais intelligent, tu t’éviterais des souffrances inutiles. - Vous ne pouvez m’arracher ce que j’ignore - Et bien nous verrons, ricana méchamment l’autre. Il fut traîné dans une cave inquiétante.
Si d’autres mondes avaient pu contempler la civilisation de Gioph, ils l’auraient trouvé fort évoluée par certains cotés. On pouvait lui envier l’antigravité, rarement connue au stade planétaire. Mais par d’autres, elle leur aurait paru très barbare. Les interrogatoires illustraient bien cette barbarie. Pas sérum de vérité, de détecteur de mensonge, ni même d’appareil à explorer les pensées, seule la torture était pratiquée. On fit passer le jeune Stix par plusieurs antichambres et couloirs. De nombreux objets, discutables du point de vue esthétique étaient déployés avec art à droite et à gauche du chemin. On y retrouvait des couteaux à découper la peau en lanières, des pointes à crever les yeux, des bâtonnets à soulever les ongles, des presses à écraser les mains. Déploiement tout psychologique, car on leur préférait à présent l’électricité. Stix déglutit péniblement devant ce spectacle peu réjouissant. On l’attacha à une chaise. Le bourreau ne perdit pas de temps à disposer les électrodes. L’intensité fut d’abord faible, un léger picotement agaçant. - Les savants engagent du personnel pour construire une base qui servira contre l’état Il circulait bien une rumeur à ce sujet, mais Stix ne savait rien de plus. - Tu as été choisi d’après certains critères que nous ignorons. Où se trouve cette base ? Son bourreau tourna un bouton et Stix se tordit de douleur, puis la douleur cessa. Avec désespoir, il répondit : - Je ne peux révéler ce que j’ignore, allez au diable. Aussitôt commença pour lui une longue agonie.
Dior était très inquiet. La construction du refuge de la dernière chance avançait, mais la police s’approchait dangereusement. Un jour ou l’autre, ils découvriraient leur cachette, et alors on pourrait craindre le pire. Lui-même se sentait surveillé de prêt par la police politique. Il ne devait à aucun prix être arrêté. La police multipliait les rafles, mais n’avait pour l’instant mis la main sur aucun responsable, que du menu fretin qui passait seulement un sale moment. ? L’un d’eux avait touché Dior, un pauvre jeune garçon qui tenait tête à ses tortionnaires avec courage. Il lui faudrait bientôt entrer en clandestinité, peut-être aujourd’hui, lors de l’arrivée du dernier contingent de travailleurs. S’il se démasquait, il pouvait peut-être en profiter pour faire quelque chose d’utile. Profitant de son statut, Il s’introduisit dans la prison, paralysa les gardes et emmena le jeune garçon inanimé.
La pièce dans laquelle il s’éveilla était petite. Plusieurs personnages l’entouraient, des visages âgés, sages, habités d’une grande bonté. Il reconnut des savants et sourit, il était avec des amis. L’un d’eux était son sauveteur. Il connaissait son nom, car qui parmi le peuple ignore le vénérable maître Dior. Ce fut lui qui prit la parole : - Tu vas pouvoir te joindre à ceux qui bâtissent cette ville de liberté. Il regarda par la bizarre petite fenêtre ronde. Tout était flou, comme troublé par l’élément ambiant. D’étranges oiseaux volaient, au ralenti, frôlant parfois le sol, soulevant alors une fine poussière qui ne se décidait pas à redescendre. Comment décrire ce paysage sablonneux où émergeait ça et là quelques rochers. Une silhouette d’homme se profilait dans ce décor irréel, une caricature plutôt, aux contours imprécis et mouvants, se promenant lentement. Ses bonds fantastiques faisaient immanquablement penser à une planète de faible gravité. L’être s’agenouilla, s’affairant sur ses pieds. Quand il eut fini, il s’élança brusquement, exécutant un gracieux battement de jambes, ce qui suffit à le projeter dans les airs. Ce prodige arracha Stix de son rêve intérieur. Il était tout simplement dans une base sous-marine, admirant sa faune aquatique, ses coraux embourbés dans la vase. Les vénérables vieillards le laissèrent en lui disant : - Tu dois maintenant rejoindre la salle commune, où, avec d’autres nouveaux venus, tu seras instruit de la vérité. C’est seulement après qu’ils furent partis qu’il se demanda où pouvait bien être ce lieu de réunion. Il haussa les épaules et sortit à son tour. Il avait eu tord de s’inquiéter, il n’y avait qu’un seul couloir, il devait mener à bon port. Il ne s’était pas trompé et parvint bientôt à une salle de six mètres sur sept, où s’entassaient une cinquantaine d’hommes. Un vieillard debout sur une table faisant office d’estrade demanda le silence et l’obtint. - Messieurs, je serai bref. Nous vous avons réuni dans le plus grand secret pour bâtir cette base sous-marine. On vous a déjà qu’elle n’avait aucune fonction militaire. Je vous révèle à présent qu’elle doit permettre de sauver l’humanité. Un cataclysme doit s’abattre sur notre malheureuse planète. Mais les politiques ont refusé de nous croire, égarés dans leurs intrigues, ils ont perdu tout sens de la réalité. Il faut essayer de sauver notre civilisation. Nous devons garder intact notre patrimoine scientifique, ainsi les rescapés ne devront pas repartir de zéro. Une ovation lui répondit. - Vous êtes les bâtisseurs de cette véritable arche. Mais jamais vous n’aurez le droit de retourner dans vos familles. Nous ne ressortirons qu’après la catastrophe. Le salaire de votre sacrifice sera d’avoir, peut-être la vie sauve, et surtout une place dans la nouvelle société que nous constituerons dans cette cité. La mer nous protégera. Nous sommes ici à l’abri des radiations, des raz de marée, des bombardements, de la chaleur, etc. Notre sécurité sera renforcée par un dôme spécial, partiellement matériel mais surtout énergétique. De tout cœur, je vous souhaite bonne chance.
Le travail était réellement dur. Ils ne disposaient que de machines construites pour une utilisation terrestre, adaptée vaille que vaille pour le travail sous-marin. Stix était affecté à la conduite d’une de ces machines, destinée à souder les éléments de la cité. Et ce n’était pas une mince affaire. Combien de morts déjà dans ces chantiers ? Il y avait d’abord les problèmes de conduite, l’eau opposait une forte résistance. Pas question, comme à l’air libre, de pousser négligemment du bout du doigt sa machine devant soit. Pour vaincre l’inertie, il fallait, juché sur sa torpille, utiliser le réacteur arrière, et à plat ventre pour offrir le moins de prise possible à l’eau. Il devint beaucoup plus prudent le jour où il vit Gaa, un camarade d’équipe, désarçonné à la vitesse pourtant modérée de 50 km/h. La non-gravité elle-même se révélait nettement moins avantageuse sous mille mètres de fond. La neutralisation 100% causait bien des surprises, car l’air est plus léger que l’eau. Le malheureux opérateur, qui, par inadvertance abaissait la manette de neutralisation au maximum était bon pour une ascension brutale. Les graduations terrestres devaient être oubliées, on réglait à l’estime. Plus dangereux encore étaient les rayons calorifiques soudeurs, transformant l’eau en flux brûlant. Il devait donc sans cesse se tenir dos au courant sous peine d’être gravement brûlé malgré sa combinaison protectrice. C’etait un spectacle hallucinant de voir ces centaines de soudeurs, cramponnés à leurs scooters sous-marins, émettre sous des angles impossibles des rayons fluorescents, déclenchant au contact du métal des geysers bouillonnants. Non moins impressionnante était la vision des transporteurs poussant sur des plates-formes antigravs des tours démesurées, des poutrelles, ou celle du maçon creusant au désintégrateur les fondations où s’ancrerait la cité, la mer comblant aussitôt dans un furieux remous le vide ainsi créé. Lentement mais sûrement, la cité prenait forme, dans ce ballet incessant. Stix gagnait en assurance. Il avait depuis longtemps dépassé le cap critique. Ce n’était plus un novice imprudent. Il maniait sa machine en virtuose, faisait corps avec elle. Et continuellement des transports secrets apportaient du matériel. Il n’avait plus revu maître Dior depuis le jour de son arrivée. Noyé dans la masses des bâtisseurs, il n’imaginait pas que celui qui l’avait sauvé puisse encore penser à lui. Lui-même n’avait pas le temps de penser. Tout entier à son travail, il s’endormait le soir comme une masse, repu de fatigue. Pour la première fois de sa vie, il se sentait à l’aise et heureux quelque part. Il était chez lui, un peu comme si, participant à sa construction, il gagnait droit de citoyenneté de la cité. Bien sûr, il était toujours envahit par la nostalgie lorsqu’il croisait un savant. Lui avait accès au savoir, ce que lui n’aurait jamais. - Messieurs, grâce à vous notre ville est construite, ou tout au moins ses infrastructures. Nous pouvons maintenant la baptiser. Voici le nom que le conseil a choisi, mais je pense que vous l’approuverez tous. Puisque hélas, notre civilisation doit disparaître en surface, nous avons pensé que son siège de survie devait porter le même nom que le centre de notre culture, notre capitale, Atlantis. Au nom de tous les savants, je vous confère droit de cité. Ce fut un formidable hourra dans la salle. - Bien sûr, nous avons encore beaucoup de travail à fournir, mais les usines vitales sont en place, notamment celles fournissant notre air, qui sera retenu par le dôme. Je vous propose de vous installer dans vos futures demeures. Il n’y a aucun aménagement encore mais au moins vous ne manquerez plus de place. Des sourires entendus accueillirent ces paroles, chacun pensait à sa couchette dans les dortoirs de seize mètres carrés pour douze personnes. A vrai dire, les nouvelles habitations n’étaient encore que des constructions provisoires en préfabriqué, avec un lit pour tout meuble. On leur distribua des tickets de résidence. Puis chacun tenta de suivre les instructions consignées dessus pour rejoindre ses quartiers, tandis que les haut-parleurs diffusaient des ordres à une allure effrénée. Quelle ne fut pas sa surprise d’en entendre un le concernant. - Stix, soudeur, est convoqué au bureau 103 toutes affaires cessantes, je répète… Le bureau 103 était dans la zone des scientifiques. Or ceux-ci intervenaient rarement étant trop occupé à étudier la future catastrophe. Parmi ceux qui l’attendaient, il reconnut aussitôt Dior. Ce fut d’ailleurs lui qui commença : - Bonjour mon jeune ami. Voilà trois mois que tu es parmi nous, et tu nous as donné entière satisfaction. Tu es citoyen à présent. Echangeant un regard complice avec Dior, un autre prit le relais : - Voilà, nous pensons qu’il faut relever le niveau de culture générale de chacun, surtout parmi les jeunes, mais il est nécessaire que nous effectuions au préalable quelques essais afin de juger de la marche à suivre. Serais-tu d’accord pour être en quelque sorte notre cobaye, et de commencer avant les autres. Cela consiste uniquement en quelques heures de cours par semaine.
Stix nageait dans un rêve délicieux. Sa soif de connaissance en faisait un élève très capable. De plus, il passait ses rares instants de loisir à la bibliothèque récemment ouverte. Vraiment si les savants avaient compté le prendre comme étalon pour leurs futurs cours, ce fut un échec. Aucun de ses enseignants ne se rappelait avoir connu un élève aussi doué. Il n’oubliait cependant pas qu’il était un salarié. Il travaillait avec encore plus d’acharnement à mesure que ses études lui permettait de réaliser le danger spatial. De plus, comme tous, il savait combien ils devaient faire vite, car à tout moment le gouvernement pouvait faire avorter le projet. Comme on avait de moins en moins besoin de soudeurs, il compléta en s’affairant à de multiples autres taches.
Oro, chef de file des patriciens tournait et retournait le problème dans tous les sens sans y trouver de solution. Où ces maudits savants avaient-ils caché leur base ? La population s’agitait, et Oro avait dû endormir leur méfiance par un communiqué rassurant : « Une conjuration organisée par les savants a échoué il y a quelques jours. Les coupables qui se sont enfuis ne tarderont pas à être rattrapés. » Oro était beaucoup moins confiant, mais il ne fallait à aucun prix que le peuple juge possible un coup d’état. Cette déclaration présentait au moins l’avantage d’expliquer les recherches actives menées sur toute la planète. Et les communiqués se succédaient : « Il n’y au aucun danger de cataclysme ! Ces bruits ne sont que des fables inventées pour grossir les rangs des traîtres » Ceci, Oro l’avait proclamé beaucoup trop sincèrement. Mais où était donc cette satanée base ? Un soldat entra, plié en deux selon l’usage : - Seigneur, un sous-marin vient de détecter d’étranges constructions sous-marines. - Qu’il attaque ! Rugit férocement le patricien sans même prendre le temps d’y réfléchir.
Il était apparu tout à coup, masse sombre survolant la cité. Survolant ou surnageant, que devait-on dire ? Peu importe. Tous s’étaient arrêtés dans leurs travaux, contemplant la silhouette menaçante. Ainsi le jour était venu. Les gouvernementaux les avaient repérés. Les savants désiraient à tout prix éviter le déclenchement d’hostilités. Suivant le plan prévu, le radio d’Atlantis 2 émit aussitôt des messages apaisant pour le gouvernement et le commandant du sous-marin. Mais seul un ricanement haineux répondit. Un petit objet se détacha du sous-marin, une torpille venant percer le dôme. Un bâtiment explosa, l’eau s’engouffra par la brèche du dôme. Aussitôt, la coupole énergétique fut branchée et la mer cessa d’envahir la cité. Le second missile s’y écrasa sans exploser ni le percer. Un flot de traîneaux s’échappa du submersible. C’était de simples torpilles à réaction, chevauchées par un seul homme disposant de mitraillette désintégrante.. Stix comprit que si rien d’autre n’intervenait, ce serait la fin. Ici, personne n’était préparé, ils ne disposaient d’aucune arme pour se défendre. Sans réfléchir il enfourcha son soudeur, fonçant à la rencontre du commando. Il arriva sur le premier soldat sans que celui-ci ne songe à se servir de son arme contre un adversaire qu’il pensait désarmé. Stix lança déclencha son rayon calorifique et le soldat se mit à bouillir sans comprendre ce qu’il lui arrivait. Par son microphone, Stix appela ses camarades à la rescousse pour sauver la cité. Ceux-ci n’hésitèrent qu’un instant avant de se jeter dans la mêlée. Le plus bizarre combat de l’histoire de Giorph commença. Tout d’abord, l’escadrille patricienne livra bataille, méprisante, s’attendant à balayer sans peine les ouvriers. Les soldats se sentaient sûrs d’eux, de la vitesse de leurs engins, de leur puissance de feu. Mais bientôt il déchantèrent. Les traîneaux étaient certes rapides, mais peu précis, au tir comme à la manœuvre. L’habilité des soudeurs compensait les défauts de leurs machines. Stix fut pris en chasse. Il exécuta un virage serré alors que son poursuivant allait tirer. Entraîné par son élan, son poursuivant dû faire un large détour. Stix prit à son tour son sillage et l’élimina. Tout le combat fut à cette image. Les soldats parvenaient difficilement à cadrer ces ridicules ennemis. Malgré leur relative lenteur, ces scooters du diable arrivaient toujours eux à se glisser dans leur dos, à quelques mètres pour les ébouillanter. Un commando de patriciens bien armés se faisait mettre en pièce par une poignée d’ouvriers, quelle honte ! Stix jugea qu’ils gagnaient la partie. Restait le sous-marin qui risquait à tous moments de saturer l’écran énergétique de ses torpilles. Les savants avaient besoin d’un répit pour préparer la prochaine attaque. Il dirigea sa soudeuse vers la forme noire. Les vigies ne le signalèrent sans doute pas, car il n’y eut aucune réaction. Chacun à bord devait observer les dernières phases de l’anéantissement du commando patricien. Mais ce qu’une soudeuse avait assemblé, une autre soudeuse pouvait le séparer. A la jointure de deux plaques blindées, il concentra son rayon. Le métal en fusion laissa bientôt place à un énorme trou. La voie d’eau dût être aussitôt signalée car le bâtiment remonta précipitamment. Malmené par les remous, Stix fut désarçonné, heurtant de la tête sa machine.
Oro faillit s’étrangler de rage quand il apprit cette déroute. Il ordonna la préparation d’une attaque plus sérieuse. Oro était loin d’être un imbécile. Il savait que les inventions des savants pouvaient se révéler une dangereuse inconnue. Après mures réflexions, il opta pour un assaut de chars appuyés de quelques vedettes et suivi de l’infanterie.
Stix recueilli et soigné se remit très vite. Dior lui-même le félicita pour son héroïsme, puis s’excusa. Tous les savants étaient sur le pied de guerre pour mettre au point des armes de défense.
Tout le détachement se sentait nerveux. Ce n’était pourtant pas leur premier combat, mais ils craignaient les savants. Les lourds chars s’ébranlèrent, disparaissant peu à peu de la côte pou rentrer dans l’élément liquide. Seuls des véhicules autoguidés constituaient les premières lignes, pour détecter tout piège. En éclaireurs, quelques vedettes, sortes de soucoupe bi-places glissaient à dix mètres au-dessus du fond. Quelques blindés sautèrent sur des mines. Glario, commandant de la colonne était plutôt déçu, il s’attendait à une plus forte opposition. Mais après tout, ce n’étaient que des civils. Les chars branchèrent leurs neutraliseurs de gravité pour s’élever au-dessus des mines. Puis il y eut des faits étranges. Des chars cessèrent leur progression pour retomber mollement dans la vase. A l’arrière, les fantassins tombaient comme des mouches. Le général Glario comprit tout de suite. - Passez en alimentation autonome En temps normal, ils utilisaient des appareils à électrolyses pour tirer l’oxygène de l’eau, mais un narcotique avait dû être mélangé à l’eau. Parvenus à portée, les chars tirèrent leurs terribles salves radiantes, rayons d’énergie pure. Mais à cet instant, la ville riposta, sous la forme d’une nuée de nageurs et de petits engins monoplaces. A plusieurs dizaines, ils encerclaient un char qui ne pouvait rien contre des cibles si petites. Glario ne s’en préoccupa guère au début, un char blindé ne craint théoriquement rien d’armes portables. Mais les désintégrateurs des assaillants se révélèrent étonnements puissants. Et sous le feu concerté d’une dizaine de ces super armes, les chars explosèrent. Glario jaugea la situation, cherchant les diverses parades possibles. Il ordonna aux vedettes de les débarrasser de ces moustiques, tandis qu’il continuerait avec ses chars à pilonner la ville pour tenter de surcharger l’écran protecteur inconnu. Les escadrilles plongèrent en formation serrée. Mais à mi-chemin, elles traversèrent une zone où quelques disques métalliques d’une dizaine de centimètres de diamètres, qui dérivaient mollement au gré du courant. Ils étaient top petits pour être repérés. Ils se fixèrent magnétiquement aux vedettes. L’effet ne parut pas immédiat. Elles poursuivirent leur piqué, puis ralentirent et quelques-unes s’immobilisèrent sur le fond, comme privées d’équipage, les commandes revenant au point mort. Glario crut devenir fou. Il ignorait que ses soldats venaient de succomber à une nouvelle arme, le gravariant. Il infligeait à l’intérieur des vedettes, des gravités passant sans transition de moins six à douze g, à une fréquence si rapide qu’aucun ordinateur ne parvenait à les compenser. Les équipages étaient morts, tués par la pesanteur. Un à un, tous les chars furent réduits au silence. L’infanterie, privée de ses appuis fit retraite. La cité venait de remporter la grande bataille.
- Nous ne pouvons pourtant pas les anéantir à coups de bombes, s’écria Oro. - Comment ?, s’étonna le jeune secrétaire, auriez-vous des scrupules ? - Mais non, triple imbécile, m’as-tu déjà vu hésiter à employer les grands moyens ? Mais intervenir à grande échelle serait leur accorder trop d’importance. Le peuple cesserait de nous croire invulnérable. Après tout, s’ils veulent s’isoler, grand bien leur fasse. Laissons ces pauvres fous à leurs chimères. Qu’ils aillent au diable, nous avons d’autres chats à fouetter, le peuple.
Au milieu de tous les atlantes, Stix attendait comme eux le discours des savants. Dior monta solennellement à la tribune. - Atlantes ! Nous vous remercions de votre courage. Il nous faut maintenant préparer l’avenir de notre race, attendre le grand choc et prier. Il fut acclamé bruyamment. Puis il parla à Stix en privé. - Je te connais bien, Stix, et je connais tes rêves secrets. Or, nous avons une dette envers toi. Sans toi, rien n’aurait pu être fait. Si si, ne proteste pas, ton action contre le sous-marin nous a sauvé. Tu as bien mérité d’être exaucé. - Merci, mais vous ne pouvez exaucer mon vœu. Je voulais être des votres, mais il est trop tard, je suis trop vieux. - Tu te trompe, Stix, l’un de nous vient d’inventer l’assimilateur de savoir. Il permet à chacun de développer rapidement ses possibilité. Si tu es opiniâtre, elle t’aidera à rattraper ton retard, et tu deviendras un savant. Une nouvelle ère commençait, une ère de joie où chacun aurait droit au savoir. La vie de Stix, l’atlante allait réellement débuter. Voir la suite, Les mercenaires de Giorph 10/7/75 Cette histoire a beaucoup vieillie. Reste que c'est une saga, à publier les prochains épisodes
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