Les troubles fêtes

 

"Tout est dans le juste milieu"

 

LES TROUBLES-FETE.

 

ATTENTION!

A TOUS LES CITOYENS!

Des bandes de voyous sévissent ça et là dans l’univers pacifié.

Ces malfaiteurs anarchistes troublent l'ordre public, il faut les arrêter. Mais pour agir efficacement, les autorités ont besoin de votre concours.

N'attendez pas la disparitions de ces bandits, que votre premier réflexe soit une saine réaction. Courrez jusqu'au premier vidéophone. N'hésitez pas! Après enquête, il est apparu qu'une inexplicable paralysie s'emparait de celui qui attendait de trop.

Nous balaierons ce danger pour la paix universelle Ayez confiance en nous, citoyens de toutes races et de tous horizons!

Les forces de l'ordre ne vous décevront pas !

Le préfet du. secteur:

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Aussi loin que remontent mes souvenirs, j'ai toujours vu de telles affiches placardées sur les murs.

Mais je n'ai jamais su à quoi elles se rapportaient. Les jeunes l'ignorent, et les anciens gardent un silence prudent.

Cela fait partie des mythes interdits.

 

Qui peuvent donc être ces bandits abhorrés? Des pillards saccageant tout?

Impossible voyons. Toute arme émet des ondes spéciales qu'il suffit à l'armée de suivre à la trace pour la localiser. Aucune guérilla n'est donc possible. Alors ?

 

Nous n'avons jamais reçu de visite du préfet sectoriel, notre planète est trop insignifiante, en qualité comme en quantité. Elle ne compte que quelques bourgs sans intérêts. Et même la capitale où je vis, jeune homme encore plein d'illusions, n'est guère qu'un village. Archos, capitale d'Erran, quelle dérision!

 

J’étais plein d'illusions, mais tout est faux. Nombre de mes espoirs se sont déjà envolés.

Notre monde est gris, et mes compatriotes n'ont pas l'air de s'en apercevoir.

Le rendement avant tout, les forces de l'ordre sont partout. L'humanité a enfin atteint l'age de raison. Tout est merveilleusement bien organisé:

 

C'est une belle machine à améliorer le niveau de vie de chacun.

Le boulot pour la production.

Nourriture et dodo pour que nous puissions travailler.

De temps en temps, des prélèvements sont effectués sur quelques éléments sélectionnés pour donner naissance en laboratoire à un nouveau citoyen qui sera éduqué dans les centres prévus à cet effet, c'est cela la vie, je le sais bien.

 

Mais il me semble que je perds tout goût à la vie.

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Je passe entre les blocs d'habitation très fonctionnels, abritant chacun une centaine de milliers de citoyens (je vous l'avais bien dit que notre capitale n'était qu'un village), puis je contourne la place centrale d'une centaine de mètres de  rayon, parcours que je suis tous les jours.

 

Mais soudain, en plein centre, un grand tourbillon de poussière trouble le calme habituel.

Et une centaine d'êtres apparaissent en son sein. Tout de suite je pense :

“ Ce ne sont pas des humains! Ils ne portent aucun des vêtements autorisés dans les nuances de gris, ce ne peut donc être des humains!

 

Je ne m'attarde pas sur les Coupes très diverses de leurs habits, leurs tons multicolores blessent mes yeux.

Par Zostra il y a là du noir brillant, des dégradés de marron roux, des rouges agressifs et sanglants, des oranges impossibles, des jaunes éclatants, des bleus intenses, des verts chargés d'une espérance proscrite, des violets autant mystérieux qu'inquiétants, des blancs d'une perfection blasphématoires.

J'étouffe Et quelle est cette suite harmonieuse de sons qui n'ont aucune parenté avec les sirènes discordantes mais familières de la ville?

 

Serait-ce là les ennemis décriés par les affiches gouvernementales? Ceux dont les vieux n'osent même plus se souvenir?

 

Non, c'est impossible! Leurs accessoires ne ressemblent en rien à des armes. Pourtant, il me faudrait appeler aussitôt les autorités, car il n'y a pas le moindre doute, même s'ils m' apparaissent inoffensifs, ils sont suspects. Pourtant un étrange sentiment que je découvre en moi pour la première fois m'en empêche:

La curiosité!

 

Ce qu'ils font, je peux le nommer par les anciens mots que je suis un des rares à connaître, mais qui ont pour moi bien peu de signification. Pourtant je peux mieux le définir par un mot que je connais encore; Harmonie

Tout en eux est harmonie.

Ils bougent sans cesse, mais chacun de leur geste semble être le pas d'une danse.

 

Soudain l'un d'eux surgit parmi les autres.

Habit, chapeau et cape noire, il fait constamment des moulinets avec une canne.

- N'ayez aucune crainte hommes et femmes de l'univers infini. Nous ne vous ferons aucun mal. Les vieux qui nous ont peut-être déjà rencontrés pourront en témoigner. Au contraire nous vous apportons la joie et le rire, flamme vacillante 'aujourd'hui, mais qui fut jadis un feu dévorant parmi ceux de votre race. Nous tenterons de le rallumer en vous, et la légende dit que nous apparaissons au moins une fois dans chaque vie. Mais place aux baladins, et que le spectacle commence. Et pour commencer, la présentation de la plus importante : la cavalerie de la galaxie par les chevinson !

On les croyait à tout jamais disparus du monde des vivants, ces animaux condamné car jugés improductifs, mais ils ont défié l'espace et le temps, grâce aux Chev[nson's.

Des vapeurs subsistantes, émergent des quadrupèdes montés par des petits hommes bondissant. Les animaux ne sont pas tous de la même race, mais il doit y avoir parmi eux de ces légendaires chevaux. Ils défilent, se dressant sur leurs pattes arrières, galopant en cadence, ou, pour les ailés, volant sur le dos.

Tous disparaissent sauf un, qui ressemble plus a un insecte à huit pattes qu'à un mammifère.

Il plane en cercle tandis que son maître au costume de lumière exécute de multiple figures. Il saute en marche la tête la première de sa monture, effectue une pirouette, touche le sol, va-t-il tomber? Non, il court sans perdre de vitesse pour enfourcher de nouveau son insecte géant. Il écarte les bras, semblant guetter quelque chose de notre part. Mais nous ne faisons rien. Pourtant des applaudissements montent parmi nous. Quel est ce sortilège ?

Le numéro se poursuit à une allure folle, puis l'inconnu sort sous des acclamations invisibles.

L'homme en noir revient.

 

- Eh oui mes enfants, ça c'est le cirque!

 

-         Réjouissez-vous! Et maintenant, vous allez voir sur la piste quelque chose d'exceptionnel (il désigne la place), du trapèze volant de très haute qualité.

Des forains montent pendant qu'il parle des portiques sur lesquels, ils fixent des cordes pendues reliées au tout par un barreau de bois.

- Les Zepellinsl Je rappel que malgré les protection antigravitiques au sol, le numéro reste dangereux. Bravo, les ZEPELLINS!

 

Deux hommes et deux femmes, vêtus pour les premiers d'un pantalon, pour les secondes d'une robe échancrée, faite de la même manière constellée de paillettes brillantes.

Je suis stupéfait par les muscles des hommes, et par la peau bronzée des jeunes filles. Je suis émerveillé par la beauté et la grâce de ces dernières.

 

Le plus solide des deux se pend par les jambes à une barre fixe. Tandis que les trois autres grimpent élégamment par une corde jusqu'à une étroite planche. L'homme se balance à plusieurs reprises, cramponné au trapèze, pour prendre son élan, saute en effectuant un saut périlleux. Va-t-il tomber? Non, son camarade le rattrape in extrémis par les bras.

 

Et la féerie continue. Ce qui le frappe plus encore que le ballet volant en apparence, c1est la vitalité qui habite ces athlètes. Et tout se passe à plus de dix mètres du sol.

Vrilles, double saut périlleux avant ou arrière, figures seul ou à deux se suivent à une cadence incroyable. Le tout toujours très gracieux. Je me prends à les admirer, quoique ne comprenant toujours pas ces efforts et cet dangers inutiles. C'est fini. Les artistes saluent en souriant, des tonnerres d'applaudissements fantomatiques retentissent, et j'aurais presque envie d'en faire autant.

 

Une dizaine de baladins aux costumes bariolés réalisent d'époustouflantes acrobaties au sol sur les bords de la place, tandis que d'autres montent une cage dont je ne comprends pas la raison. Je le comprends bien vite quand je vois une dizaine de monstres pénétrer dans l’enceinte protégée.

 

Toutes les légendes datant des mythiques premiers voyages stellaires quand il restait encore quelque chose à découvrir dans l'univers reviennent en moi.

Des fauves ailés à la mâchoire impressionnante grognent, rugissent, nous jettent des regards mauvais.

 

Et voilà qu'un petit homme se met à jouer nonchalamment  avec eux, vêtu d'un pagne et d'une peau tachetée. ll en fait ce qu'il veut. Il les fait voler, monter sur des tabourets, passer sur son corps. Il introduit son visage dans une gueule baveuse sans être déchiqueter. Je suis impressionné, je l'avoue. Et je n'hésite pas à sa sortie, sur l'injonction du présentateur à applaudire timidement. Nous ne sommes que quelques-uns à l'oser, et bien que nous soyons noyés pans les acclamations fantomatiques, je sens les forains nous dévisager, comme s’ils nous avaient repéré.

 

Le numéro suivant est celui d'un petit homme enfariné, au nez énorme et à la voix nasillarde à qui il arrive un tas de malheurs impossibles. L’habit noir nous révèle qu'il s'agit d'un clown.

Il perd l'équilibre, casse des assiettes, et je ne peux m'empêcher de rire devant son expression pitoyable.

 

Nous applaudissons tous cette fois-ci.

Pendant ses pitreries irrésistibles, les forains ont tendu un câble encore plus haut que pour les trapézistes.

 

Et voici mesdames et messieurs, le funambule Gloria.

Il me semble reconnaître l'une des voltigeuses de tout à l'heure, la moins active.

Elle a changé de costume.

Elle porte maintenant un élégant maillot blanc, cerclé à la taille par de la dentelle fine.

Ses longs cheveux sont parsemés de paillettes d'argent. Elle monte à la force des bras, les jambes à l'équerre, avec une grâce infinie. Je n’aurai jamais imaginé une telle force chez une si frêle jeune fille.

Et la voilà sur le fil. Ses pas sont d'abord hésitants, puis plus assurés. Elle finit par danser légèrement au grés d'un air allègre. Avec la même nonchalance, toujours avec élégance, elle réalise les premières difficulté. Equilibre sur les mains, sur la tête et divers sauts. J'en ai le cœur tout serré. C'est curieux, je sais que je n'éprouverais pas la même angoisse s'il s'agissait d'un homme.

 

Et pourtant, j'avais toujours pensé jusqu'à présent que les différences de sexe n'étaient dues qu'à un hasard finalement sans importance. Hommes et femmes exerçaient sur Erran les même taches et en retiraient les mêmes bénéfices. Je pensai que les femmes étaient une race proche de celle de l’homme qui avait finit par vivre en symbiose avec nous. Les taux de reproduction dans les laboratoires des deux races sont similaire.

 

Mais pour la première fois, je les sentais comme éléments complémentaires d'une même race.

Voila ce que je pense tandis qu'elle nous sourit à tous et à personne en particulier, mais comme si nous formions un tout indivisible. Ah comme j'aimerais qu'elle me regarde plus personnellement.

Nous acclamons tous sa descente avec soulagement.

 

- Maintenant, voici Tom Jan le fantastique.

Un jongleur. J'admire son incomparable habilité. Il jongle avec n'importe quoi, bouteilles, couteaux, torches enflammées.

 

- Voilà mesdames et messieurs, c'était le dernier numéro mais il reste le clou, le bouquet final, la parade du cirque. Puis certains d'entre nous passeront dans vos rangs pour faire appel à votre générosité.

Les artistes apparaissent chacun leur tour, et nous les acclamons de bon cœur tandis qu'ils défilent.

 

- Vous avez pu applaudir Les Chevinson's et leur admirable cavalerie l Les féeriques Zeppellins!

La bande des Sallanos! Tarzan l'indomptable! Le pauvre Zaricolet. La. gracieuse· Gloria et l'incomparable Tom Jan!

 

C'est gloria qui passe devant moi, un chapeau à la main. Je sursaute, puis je lui donne mes crédits sans regret. Ce cirque a été la plus grande expérience que j'ai jamais vécu.

Elle est vêtue à'un costume rouge. Elle me gratifie d'un sourire radieux, mais je sais que c'est le sourire qu'adresse tout artiste au spectateur, et c'est bien ainsi.

 

Mais malgré moi, je la suis de loin, je ne veux par la perdre de vue. Je ne sais pas ce qui me prend. J'ai simplement L’impression de sortir de ma peau gris terne pour entrer dans un monde de couleur. Personne ne s'interpose. Je ne fais plus partit des vivants.

La parade tourne autour de moi. Je suis seul et personne ne parait me remarquer. La jeune funambule a rejoint le défilé.

 

Soudain d'une ruelle arrive tout un corps de soldats. Monsieur Loyale prend un air désespéré. Pourtant il crâne avec un sourire douloureux.

-         Attention, mesdames et messieurs! Nous allons produire devant vous un dernier numéro de clown.

Un rideau de fumée apparaît devant la ruelle, mais cette fois j 'ai vu comment il a procédé. C’est une petite boule fumigène.

- Imaginez, mesdames et messieurs dans l'univers de couleur que vous venez de vivre, l'apparition du gris! Voici LES CLOWNS!

Son cri est presque désespéré.

 

Du nuage émerge un groupe d'hommes aux visages barbus sévères et cruels.

C'est si étrange de les voir ainsi, les traits crispés, masqués, leur uniforme gris poussiéreux, que tout le monde se met à rire.

Le premier jet de laser est pour monsieur loyal.

 

Une main féminine me saisit.

-Vous? Mais comment?

- Nous repérons ceux qui réagissent le plus, comment croyez-vous que nous recrutons? Vite! Venez, il y aura peut-être quelques survivants et nous avons une chance d'en être. Quittez la tristesse pour la joie, venez vite, un jour le monde entier nous ressemblera.

-         Mais comment ? Jamais je ne pourrai faire ce que vous faites

 

Elle me répond d’un air un peu triste :

-         Nous avons besoin d’un nouveau monsieur loyal

Dans les lasers et dans les fumées destinées à protéger notre fuite, je disparais avec elle.

Mais ne nous oubliez pas, vous qui me lisez dans votre petite vie grise.

Un jour je viendrai et vous apprendrai la couleur.

 

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