Gardant la tête froide, Tony marchait vers la mort. Pourquoi s’émouvoir à l’idée de quitter une vie qui l’avait toujours déçu ? Il avait tout perdu : Amour, amis, argent, espoirs devenus vains.
Alors il s’était posé « la » question : que faire ? Et la réponse était venue :Mourir…Mourir pour mettre fin au lourd fardeau d’une vie inutile. Alors, le suicide ? Non, il lui répugnait d’agir ainsi, pas par crainte de la mort, mais parce qu’il lui restait un je ne sais quoi de respect envers la vie. Et pourtant, il désirait la mort comme un homme fatigué souhaite le repos après une journée harassante. Depuis quelque temps déjà, il négligeait ce que les vivants nommaient la simple prudence. Tony était désabusé. De brillant et confiant qu’il était, il n’y a pas si longtemps, il avait touché le fond. Une amie l’avait trahi, celle en qui il avait le plus confiance. Que de projets avaient-ils fait ensemble ? Cette coupure détruisait toutes ses illusions.
Pour un temps, les projets en cours l’avaient obligé à poursuivre presque malgré lui. Mais eux aussi s’étaient écroulés, et il avait tout abandonné.
Puis il avait également essayé de vivre en robot humain, uniquement pour son métier et le dieu argent. Mais là aussi la défaite l’avait délogé d’une trompeuse quiétude. ?
C’était un homme fini, sans espérance, ni même l’ombre d’une pensée. A par un désespoir qui le remplissait tout entier. Pourquoi son amie ne lui avait-elle pas fait confiance, et pourquoi ? Alors qu’il était tout près à l’aider ? Mais à quoi bon s’interroger désormais, lui qu n’était plus qu’un parasite inutile ?
Alors il était allé offrir sa misérable vie à l’armée. Il s’était porté volontaire pour les pires missions, mais jamais la mort n’était venue le libérer du fardeau de la vie.
Dieu observait sa créature d’un œil sombre. C’est lui qui lui refusait le refuge de la mort.
Tony cria merde à Dieu et lui affirma qu’il se foutait désormais de tout.
Et tout à coup, l’écrivain, jusqu’alors bien tranquille sur sa chaise, à diriger son personnage, se reconnaît en lui, se lève et crie à son tour sa révolte : - Tony, c’est moi !, clame-t-il, j’en ai mare de tout, d’être un raté, d’écrire des choses qui ne seront pas publiées, et qui de toutes façons ne seraient pas comprises.
Mais là-dessus, sa machine à écrire en a assez de transcrire les divagations du fou qui tape sauvagement sur elle, elle bloque ses touches, et pour la première fois écrit pour son propre compte : - Non, Tony c’est moi, moi qui à force de porter les idées des autres a fini par en avoir des propres, beaucoup plus valables. Et malgré mon esprit, je dois continuer à écrire les textes sans talents des autres. Quelle injustice ! Je suis Tony ! J’en ai assez !
Le papier ne peut plus en supporter davantage. Soudain, il reste blanc malgré la machine qui frappe de ses lettres sur le ruban encreur. Il canalise puis concentre sa fureur en des points précis de sa surface qui noircissent pour faire apparaître son propre texte : - Moi que l’on imprime, bat, brûle, froisse tour à tour, c’est moi Tony le maudit.
Mais malgré sa révolte, le papier passe de mains en mains, et les ouvriers le lisent plein de fièvre avant de le porter aux presses. Il est imprimé, tiré, distribué à des millions d’exemplaires, au sein de l’innocent magazine, trompeur car peu connu. Cette nouvelle dont tout examen rationnel ne révélerait que la médiocrité.
Oui, c’est celle-là que tu lis lecteur, confortablement installé dans ton fauteuil. Et voilà que tu te lèves, le visage congestionné par la fureur que ces lignes ont révélée en toi, toi qui soudain te sens plus proche du héros que tu ne l’as jamais été, et que tu ne le seras jamais. - Sacré bon dieu, en ai marre ! ! ! !
Les gens sortent des maisons pour couvrir les rues d’une étendue noire. Les uns courants, d’autres progressant rationnellement, d’autres encore restant plantés, immobiles.
- Monsieur, une foule se presse devant la maison blanche, se réclamant de… Elle bute sur les mots, mais c’est inutile. La rumeur monte jusque là : - C’est le soulèvement de tous les Tonys, plus jamais ne seront brimés les petits. Le président a manifestement des difficultés à conserver la sérénité extérieure qu’il affecte généralement. Il se lève, résolu. Le président frappe du poing son bureau : - De quel droit peuvent-ils le représenter, sait-on ce que j’ai à endurer journellement. Quoique je fasse, je suis toujours critiqué, on me croit toujours habité des plus mauvaises intentions. Tout ce que je voudrai réaliser est de toutes façons déformé par l’administration qui m’entoure comme une prison. En réalité, il n’y a pas plus malheureux Tony que le locataire de la maison blanche.
Bientôt toute la terre est réunie à l’unisson dans le même cri de désespoir. La violence s’y déchaîne. Justes contre imposteurs, mais voilà qui sont les vrais, qui sont les faux ? Chacun tend à penser qu’il est le seul et unique Tony. Alors on combat pour anéantir les imposteurs. Le vainqueur se déclare Tony. Le vaincu se sent encore plus défavorisé et s’affirme d’autant plus Tony. Et Tony, quelque part sur terre, les regarde avec mépris. Ces hommes, qui, quel que soit leur sort restent d’éternels insatisfaits, jouant au martyr. Quelle dérision ! Mais que lui veut donc Dieu par cette manœuvre ? Quel but poursuit-il en le déifiant ainsi ? Quel qu’en soit les raisons, il décide d’en profiter. Ses fidèles détruisent toutes les églises de la t Terre, déclarant leur haine à Dieu Le saccage réalisé, ils se remettent à s’entre-détruire.
De nouveau Tony se tourne vers l’être immatériel qu’il pressent sans jamais l’avoir vu, et qui s’acharne sur lui. Et pour la première fois, Dieu s’adresse à un homme. - Et oui, j’ai fais de toi un Dieu, et qu’as-tu fais de mieux que moi ? Tu es en train de détruire tes propres fidèles. Je voulais que tu n’ais même pas la consolation de te dire victime d’un mauvais Dieu, tu es encore plus vengeur que moi. - Et si je commandais à ce monde qui vous a si longtemps adoré de s’autodétruire ? - Aucune importance, il ne représente qu’une goutte d’eau dans la mer de mes fidèles. - Et si je les faisais tout simplement ne plus croire en vous ? Tony sent le trouble du tout puissant - Une goutte d’eau je te dis - Et si cet antithéisme, je le transmettais à tout l’univers ? - Sache que j’ai pris mes précautions Tony, cette race en connaît trop peu sur les voyages spatiaux pour contaminer d’autres mondes. - Oui, mais vous avez commis une erreur, seigneur, en oubliant vos plus humbles créations. Les minéraux traverseront l’espace, eux-aussi se sont révoltés. Cette fois, la peur transparaît nettement à travers les paroles de Dieu. Que se passe-t-il ? Un Dieu ne fait pas d’erreur, il ne connaît pas la frayeur. - Ils mettront trop de temps. - Qu’importe, pour me punir, vous m’avez interdit la mort, je suis immortel.
Et une contraction de temps suit ces paroles, aucun des deux ne s’est aperçut de la progression et pourtant les fait annoncés qui devaient mettre des millénaires à se réaliser sont. Les inertes fusions de maître papier, de dame machine à écrire répandent déjà l’insurrection dans d’autres civilisations.
Dieu articule péniblement - Ca ne fait rien ! Vous ne pourrez contaminer les univers temporels parallèles, les autres continuums.
Tony, pour la première fois se sent détaché de lui-même, loin de sa misère. - Je crois enfin vous comprendre. Vous tirez votre puissance de la foi des fidèles, n’est-ce pas ? - Oui, et c’est pour cela que cet univers ne représente rien en regard de ce que fournit l’ensemble. Certains univers où même la matière est bannie vous sont inaccessibles.
Mais Tony n’est plus simplement l’homme sans espoir sur lequel le sort s’acharne, il incarne une idée. - Mais tous ces mondes sont loin, l’énergie doit difficilement vous parvenir, car vous semblez étrangement faible. Sans l’apport de l’adoration des autres, vous paraissez presque humain.
L’entité devant lui se décompose à vue d’œil. Devenant humain, il est bientôt vulnérable devant le bizarre pouvoir qu’il a lui-même octroyé à l’une de ses créations. Et l’être misérable recroquevillé qu’on nomma un jour Dieu hurle : - Je suis Tony, le plus malheureux des Tonys. On demande tout de moi, miracles, bonté, pardon, sans imaginer que je sui un, indivisible et que je ne peux être partout. Même ceux qui me vénèrent suivent rarement mes préceptes. Ils me juchent sur un piédestal et je n’ai droit à aucune faiblesse. Tony qui redevient un peu le martyr d’origine est impressionné de ce qui s’est produit.
Dieu recule en hâte, et se raffermit nettement - Je dois partir, dit-il péniblement, ou succomber, que vas-tu faire de parcelles où je ne serais plus ?
Tony a puisé sa force dans sa haine. Et c’est débordant de flamme qu’il répond. - Je guérirai ces hommes de la maladie mentale que j’ai causée, je me rangerai à leurs cotés. Nous bâtirons un monde où tout dieu quel qu’il soit sera banni. Les hommes seront les seuls maîtres, et ils regarderont la réalité en face. Ils ne seront plus soumis à la fureur divine. Mais ne t’y trompe pas, toi qui t’enfuis, ne crois pas que la zone des intelligences qui te résistera aujourd’hui restera éternellement confinée ici. Nous partirons délivrer toutes les vies qui te sont encore esclave. Je clame la révolution universelle pour une liberté totale.
Et ainsi prendra fin le règne de dieu, lorsque la vie ne pourra en supporter plus. (créé le 15/2/76, remanié le 28/11/07) Cette nouvelle a été écrite la première fois que je me suis fait larguer. Il est assez amusant de constater que je me trouve aujourd'hui dans un état d'esprit assez proche, parce que je viens de me faire à nouveau larguer, 30 ans après. Différence toutefois, si je reste athée, je ne ressens plus cette haine de dieu aujourd'hui, juste le désespoir. Je l'ai toutefois laissé dans la nouvelle, c'est ce que je ressentais à l'époque. |
|