Quelque
part au fond d'une cave oubliée, entre deux immeubles en ruine, dans le vieux
Paris.
Les
premières ombres envahissent cette portion de la planète.
La nuit
est son royaume, et il s'éveille pour accomplir son destin.
C'est
l'oiseau nocturne, l'oiseau de liberté!
*
*
J'ECRIS!
Par
passion ou par désespoir! Inlassablement, je rédige des lignes sans fin, bien
mal sans doute, mais ça n'a aucune importance, personne ne compose plus ces mots
magiques autrefois, c'est illicite.
Je tape
avec force sur ma vielle royale 200, ma fidèle amie, comme si chaque frappe
devait être la dernière.
Et le
ruban fatigué imprime tant bien que mal les caractères sur le papier souvent
déjà jauni.
Je
donne parfois un sens à ma prose, mais pas toujours, après tout pourquoi remplir
de signification un message inutile.
Liberté, je reviens…
*
*
*
*
*
*
*
J'ai dû
interrompre mon délire verbal pour changer de cachette.
Je dois
continuellement me déplacer pour échapper à la police.
Si on
me découvrait, ils réduiraient ma royale à l'état d'un tas de ferraille, et mon
sort ne vaudrait guère mieux.
Ils me
connaissent, ils m'ont repéré, fiché, catalogué, accusé, jugé, condamné, mais
par contumace bien sûr.
A moins
que ce ne soit condamné, jugé, accusé. En tous cas, je suis certain qu'ils
auraient préféré m'exécuter avant les trois dernières étapes.
Ils ne
savent pas qui je suis mais ils me guettent.
la nuit
venue, ils organisent des patrouilles qui ratissent le vieux Paris, la ville
maudite. Parfois, l'un d'eux aperçoit ma silhouette sobre dans l'axe d'une
ruelle déserte, mais déjà elle se fond parmi les ruines imprécises qui la
bordent.
Ils ont
ordre de tirer à vue.
Siiift…Un
rayon vert vient de faire éclater l'ampoule jaunâtre qui éclairait partiellement
mon dernier refuge, la mansarde d'un immeuble abandonné. Je dois fuir, toujours
fuir dans le désert de l'antique cité.
Il y a
cependant encore quelques quartiers habités, mais peut-on encore les appeler
ainsi? Ménageries, prisons, conviendraient mieux.
Des
camps où toute l'humanité est cloîtrée pour la nuit, cachée dans un coin de
chaque grande cité de la planète. Ailleurs, il n'y a plus personne. Paris est
morte comme tout le reste.
Pourtant, tous les matins, il revit pour un bref moment. Des passants le
sillonnent en tous sens, comme au bon vieux temps, mais ceux-là sont tristes et
résignés, ce ne sont plus que des ombres d'humains. Ils marchent le col relevé,
effrayés de côtoyer les ruines. Non qu'ils aient peur d'être ensevelis sous un
mur.
Non,
ils craignent tous les souvenirs que renferment ces vestiges d'une civilisation
jadis heureuse, malgré le bruit, la pollution, la drogue, le capitalisme et le
communisme, une société qui n'est déjà plus qu'une légende, un mythe.
C'est
là que parfois l'un d'eux découvre l'une de mes pages, abandonnée sur le sol
humide de la rosée matinale. Il regarde alors autour de lui, et s'il est seul,
il se baisse pour la saisir, comme s'il ramassait la plume perdue d’un rossignol
blessé. De plus en plus inquiet, surveillant attentivement Les alentours, il lit
rapidement car si la lecture est elle aussi interdite, elle n'est cependant pas
encore oubliée.
Il n'y
a plus de livres, ils ont été détruits.
Il
pense: Tiens, il est passé par ici, peut-être même fuyait-il devant une
patrouille, mais il leur a échappé en s'envolant de toit en toit.
Les
hommes songent toujours à moi comme à un grand oiseau, quand leurs pensées leurs
appartiennent, Ils m'appellent le corbeau de la liberté.
Puis il
rejette soudain ma feuille comme si elle brûlait. C'est toujours ainsi, ils
n'osent pas la garder, si on découvrait en leur possession mes propos
subversifs, il serait tué, peut-être torturés. Dans un sens, ça m'arrange, si
mes chasseurs ne tombent pas dessus, d'autres liront mon message.
Ils en
détruisent des dizaines, mais qu'importe, je continuerai à en écrire, toutes les
nuits, jusqu'à ma mort, pour les semer avant le jour.
Car je
suis libre, je suis le seul, mais jamais je ne me résignerai comme eux, malgré
les menaces, le danger, la solitude.
Ils
sont apparus un beau jour il y a des années, des décennies, peut-être des
siècles, je ne sais, je n'ai aucune notion du temps.
Qui
sont-ils? Ca n'a aucune importance.
Des
extraterrestres, les membres dictateurs d'une oligarchie? Un peuple de
conquérants? Des voyageurs de temps? Des habitants d'un univers parallèle? Des
dieux ou des bêtes? Je l'ignore.
Ils
sont entrés dans l'histoire, déchaînant les catastrophes, avec leurs super
armes, leur contrôle météo, et leur éternelle arrogance.
Ils ont
tout d'abord ravagé les trois quarts de la planète, histoire de se présenter, je
pense.
Ils ont
posé leur ultimatum: Se rendre ou mourir.
Les
futurs dictateurs n'avaient été soigneux que sur un point, Tous les sièges de
gouvernement ou les bases de défense n'étaient plus que cratères remplis de
lave. Plus d'armée ni de chef, la population n'avait plus qu’à s'incliner, ce
qu'elle fit sans honte.
Les
vainqueurs les ont parqués.
Tous
les terriens sont maintenant réduits en esclavage, nourris comme des bêtes, mis
en cages la nuit, travaillant dans des ateliers hors des villes.
Ils
partent le matin pour accomplir une besogne mécanique à laquelle ils ne
comprennent rien, et reviennent dix heures plus tard, harassés, misérables.
Ils
sont constamment espionnés électroniquement, et sont abattus au moindre signe de
velléité, ou plus simplement s'ils ne fournissent pas un certain quota de
production.
Malgré
tout, la race humaine est fière, indomptable, c’est du moins ce qu'affirment
tous les livres que j'ai pu connaître du temps où j'appartenais à une
civilisation, les lettres constituaient un peu ma spécialité, j'étais secrétaire
particulier.
Je
m'attendais à les voir tous se révolter ou même se cacher comme moi, j 'avais en
mémoire tous les hauts faits de la Seconde guerre mondiale, les combats des
résistants ;
Où sont
les descendants des Jean Moulin?
Terre,
ta civilisation s'est bien amollie dans une société ultra automatisée, robots,
transmetteurs, confort total, etc.
Il est
vrai que les héros d'Antan n'ont jamais eu à lutter contre des annihilateurs de
matière, à s'évader de prison champs de force, à cacher leurs pensées des
pénétrateurs psychiques. Mais tout de même, je m’attendais à mieux d’eux.
Mais
moi, jamais je ne leur cèderai, par patriotisme, par amour de la liberté,
peut-être même surtout par amour de la littérature. Pensez qu'écrire est
interdit !
Pensez
qu'après ma mort, plus personne ne gravera ses pensées, quelque soit leurs
valeurs, cette idée m'est intolérable, aussi,de toute ma douleur, j'imprime,
j'imprime sans fin ces appels à la liberté où je leurs dis…
"Siiift"
-
Zut!!l n'y a pas de tranquillité possible. "Siiiift",je me demande pourquoi des
rayons immatériels font un tel bruit, peut-être par leur effet sur l'air
ambiant.
"Siiift"
*
*
*
*
*
*
*
Dans
mes écrits, je leur dis:
Terriens, réveillez-vous!
Suivez
les glorieux exemples de vos ancêtres! Ceci est mon appel du dix-huit juin, et à
défaut de radio, j'en multiplierai les exemplaires à travers Paris, et même
parmi toutes les autres cités habitées de notre belle planète!
Ne
perdez pas votre héritage! Faites circuler les idées ! Faites connaître votre
résolution par les yeux s’il le faut, si vos paroles sont surveillées. Vous
savez que la lutte est possible, j'en suis le vivant exemple, malgré toute leur
science, ils n'ont pu me tuer, et jamais ils n'étoufferont ma voix dans la mort
comme dans la répression!
Car je
suis un symbole et j'ai pour nom liberté!
Maîtrisez vos pensées si c'est nécessaire, maintenant vos ennemis ont un visage.
Sabotez
leurs installations, évadez-vous dès que possible, analysez tout ce que vous
pourrez de vos tortionnaires, leurs armes, leurs machines.
Combattez-les à l'ombre ou à la lumière.
Vous
êtes encore des centaines de millions, et nous parviendrons à les vaincre, ce
n'est qu'une question de temps et de sacrifice. Vous n'êtes pas une race
d'esclave.
L'humanité a de nombreux défauts et quelques qualités, certains de ses
représentants lui ont fait la honte d'être des opprimeurs, mais jamais elle n'a
sciemment accepté des chaînes.
Nous
construirons une nouvelle société, qui jamais ne se fera piégée, où tous les
individus seront libres, où la spécialisation sera réservée aux machines, car il
ne faut pas que l'homme universel soit sacrifié comme dans une ruche à devenir
un élément sans âme !
Oui,
que la devise de notre nouvelle civilisation soit liberté!
La
révolte doit commencer!
LIBERTE!
LIBERTE! LIBERTE! LIBER •••• Siiift! •••
Siiiiift? SIIIIIFT!
Ah! ce
n'est…Je suis tou…ché, à mort mais « Ce n'est pas la fin »
LA
LUTTE CONTI ••••••
"Siiift"
Les
chasseurs s'approchent de leur victime.
Par
chance, si le rayon a été mortel, il ne l'a pas frappé de plein fouet, il vont
enfin pouvoir identifier l'oiseau de liberté.
Tout
près du cadavre, une vieille machine à écrire sur laquelle il est parvenu à
taper quelques derniers mots.
Et
enfin, une forme humanoïde allongée sur le sol, par le ventre ouvert
apparaissent les organes du révolté. Des engrenages, des circuits intégrés, des
fils.
*
*
*
*
-Un robot!
s'écrie avec stupeur le chef de la patrouille, voila qui explique
l'inefficacité du détecteur biologique.
Un
robot secrétaire qui n'a pu supporté la suppression de sa fonction, d'où sa rage
d'écrire en vers et contre tout.
- Hum!
A moins qu'il n’ait été prograrnmé pour diffuser les tracts qu'il composait, le
coupa un autre, sceptique. Tous ces hasards me semblent un peu trop bizarres. L'
oiseau de liberté a déjà été signalé dans une vingtaine de ville, parfois
simultanément, mais le plus souvent comme un phénix renaissant à des endroits
successifs différents.
Moscou,
Londres, Djibouti et maintenant Paris sont ses dernières étapes.A chaque fois,
une patrouille a prétendu l'avoir désintégré mais aucune n'avait pu jusqu'ici
l'identifier.
*
*
*
~
-. Mais
en tout cas, il faudrait que cette chaîne s’interrompe d'urgence. Les esclaves
commencent à s'agiter, et ils sont maintenant à l'intérieur ••• Ils vont
organiser des mouvements de résistance, de sabotage, dissimuler leurs pensées
-Je
crains qu'il ne soit pas possible de détruire tous les automates, la Terre est
immense, les ruines constituent un vrai labyrinthe où les cachettes, naturelles
ou artificielles, fourmillent, et il y a sans doute des milliers de robots
secrétaires oubliés.
Tous
frissonnèrent en réalisant leur puissance.
*
* * *
*
*
*
Quelque
part dans New York, la ville géante aux multiples buildings effondrés, dans une
grenier perdu, un robot secrétaire s'éveille à la vie.
Il ne
sait pas qu'un autre oiseau de liberté a erré deux ans auparavant dans la cité.
Mais
déjà, il brûle d'envie d'écrire, et il restera insatisfait tant qu'il n'aura pas
découvert une rémington ou une ollivetti.