Scribouillou

 

SCRIBOUILLOU

Quelque part au fond d'une cave oubliée, entre deux immeubles en ruine, dans le vieux Paris.

Les premières ombres envahissent cette portion de la planète.

La nuit est son royaume, et il s'éveille pour accomplir son destin.

C'est l'oiseau nocturne, l'oiseau de liberté!

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J'ECRIS!

Par passion ou par désespoir! Inlassablement, je rédige des lignes sans fin, bien mal sans doute, mais ça n'a aucune importance, personne ne compose plus ces mots magiques autrefois, c'est illicite.

Je tape avec force sur ma vielle royale 200, ma fidèle amie, comme si chaque frappe devait être la dernière.

Et le ruban fatigué imprime tant bien que mal les caractères sur le papier souvent déjà jauni.

Je donne parfois un sens à ma prose, mais pas toujours, après tout pourquoi remplir de signification un message inutile.

 

Liberté, je reviens…

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J'ai dû interrompre mon délire verbal pour changer de cachette.

Je dois continuellement me déplacer pour échapper à la police.

Si on me découvrait, ils réduiraient ma royale à l'état d'un tas de ferraille, et mon sort ne vaudrait guère mieux.

Ils me connaissent, ils m'ont repéré, fiché, catalogué, accusé, jugé, condamné, mais par contumace bien sûr.

A moins que ce ne soit condamné, jugé, accusé. En tous cas, je suis certain qu'ils auraient préféré m'exécuter avant les trois dernières étapes.

Ils ne savent pas qui je suis mais ils me guettent.

la nuit venue, ils organisent des patrouilles qui ratissent le vieux Paris, la ville maudite. Parfois, l'un d'eux aperçoit ma silhouette sobre dans l'axe d'une ruelle déserte, mais déjà elle se fond parmi les ruines imprécises qui la bordent.

Ils ont ordre de tirer à vue.

Siiift…Un rayon vert vient de faire éclater l'ampoule jaunâtre qui éclairait partiellement mon dernier refuge, la mansarde d'un immeuble abandonné. Je dois fuir, toujours fuir dans le désert de l'antique cité.

Il y a cependant encore quelques quartiers habités, mais peut-on encore les appeler ainsi? Ménageries, prisons, conviendraient mieux.

Des camps où toute l'humanité est cloîtrée pour la nuit, cachée dans un coin de chaque grande cité de la planète. Ailleurs, il n'y a plus personne. Paris est morte comme tout le reste.

Pourtant, tous les matins, il revit pour un bref moment. Des passants le sillonnent en tous sens, comme au bon vieux temps, mais ceux-là sont tristes et résignés, ce ne sont plus que des ombres d'humains. Ils marchent le col relevé, effrayés de côtoyer les ruines. Non qu'ils aient peur d'être ensevelis sous un mur.

Non, ils craignent tous les souvenirs que renferment ces vestiges d'une civilisation jadis heureuse, malgré le bruit, la pollution, la drogue, le capitalisme et le communisme, une société qui n'est déjà plus qu'une légende, un mythe.

C'est là que parfois l'un d'eux découvre l'une de mes pages, abandonnée sur le sol humide de la rosée matinale. Il regarde alors autour de lui, et s'il est seul, il se baisse pour la saisir, comme s'il ramassait la plume perdue d’un rossignol blessé. De plus en plus inquiet, surveillant attentivement Les alentours, il lit rapidement car si la lecture est elle aussi interdite, elle n'est cependant pas encore oubliée.

Il n'y a plus de livres, ils ont été détruits.

Il pense: Tiens, il est passé par ici, peut-être même fuyait-il devant une patrouille, mais il leur a échappé en s'envolant de toit en toit.

Les hommes songent toujours à moi comme à un grand oiseau, quand leurs pensées leurs appartiennent, Ils m'appellent le corbeau de la liberté.

Puis il rejette soudain ma feuille comme si elle brûlait. C'est toujours ainsi, ils n'osent pas la garder, si on découvrait en leur possession mes propos subversifs, il serait tué, peut-être torturés. Dans un sens, ça m'arrange, si mes chasseurs ne tombent pas dessus, d'autres liront mon message.

Ils en détruisent des dizaines, mais qu'importe, je continuerai à en écrire, toutes les nuits, jusqu'à ma mort, pour les semer avant le jour.

Car je suis libre, je suis le seul, mais jamais je ne me résignerai comme eux, malgré les menaces, le danger, la solitude.

Ils sont apparus un beau jour il y a des années, des décennies, peut-être des siècles, je ne sais, je n'ai aucune notion du temps.

Qui sont-ils? Ca n'a aucune importance.

Des extraterrestres, les membres dictateurs d'une oligarchie? Un peuple de conquérants? Des voyageurs de temps? Des habitants d'un univers parallèle? Des dieux ou des bêtes? Je l'ignore.

 

Ils sont entrés dans l'histoire, déchaînant les catastrophes, avec leurs super armes, leur contrôle météo, et leur éternelle arrogance.

Ils ont tout d'abord ravagé les trois quarts de la planète, histoire de se présenter, je pense.

Ils ont posé leur ultimatum: Se rendre ou mourir.

Les futurs dictateurs n'avaient été soigneux que sur un point, Tous les sièges de gouvernement ou les bases de défense n'étaient plus que cratères remplis de lave. Plus d'armée ni de chef, la population n'avait plus qu’à s'incliner, ce qu'elle fit sans honte.

Les vainqueurs les ont parqués.

Tous les terriens sont maintenant réduits en esclavage, nourris comme des bêtes, mis en cages la nuit, travaillant dans des ateliers hors des villes.

 

Ils partent le matin pour accomplir une besogne mécanique à laquelle ils ne comprennent rien, et reviennent dix heures plus tard, harassés, misérables.

Ils sont constamment espionnés électroniquement, et sont abattus au moindre signe de velléité, ou plus simplement s'ils ne fournissent pas un certain quota de production.

Malgré tout, la race humaine est fière, indomptable, c’est du moins ce qu'affirment tous les livres que j'ai pu connaître du temps où j'appartenais à une civilisation, les lettres constituaient un peu ma spécialité, j'étais secrétaire particulier.

Je m'attendais à les voir tous se révolter ou même se cacher comme moi, j 'avais en mémoire tous les hauts faits de la Seconde guerre mondiale, les combats des résistants ;

Où sont les descendants des Jean Moulin?

Terre, ta civilisation s'est bien amollie dans une société ultra automatisée, robots, transmetteurs, confort total, etc.

Il est vrai que les héros d'Antan n'ont jamais eu à lutter contre des annihilateurs de matière, à s'évader de prison champs de force, à cacher leurs pensées des pénétrateurs psychiques. Mais tout de même, je m’attendais à mieux d’eux.

Mais moi, jamais je ne leur cèderai, par patriotisme, par amour de la liberté, peut-être même surtout par amour de la littérature. Pensez qu'écrire est interdit !

Pensez qu'après ma mort, plus personne ne gravera ses pensées, quelque soit leurs valeurs, cette idée m'est intolérable, aussi,de toute ma douleur, j'imprime, j'imprime sans fin ces appels à la liberté où je leurs dis…

"Siiift"

- Zut!!l n'y a pas de tranquillité possible. "Siiiift",je me demande pourquoi des rayons immatériels font un tel bruit, peut-être par leur effet sur l'air ambiant.

"Siiift"

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Dans mes écrits, je leur dis:

 

Terriens, réveillez-vous!

 

Suivez les glorieux exemples de vos ancêtres! Ceci est mon appel du dix-huit juin, et à défaut de radio, j'en multiplierai les exemplaires à travers Paris, et même parmi toutes les autres cités habitées de notre belle planète!

 

Ne perdez pas votre héritage! Faites circuler les idées ! Faites connaître votre résolution par les yeux s’il le faut, si vos paroles sont surveillées. Vous savez que la lutte est possible, j'en suis le vivant exemple, malgré toute leur science, ils n'ont pu me tuer, et jamais ils n'étoufferont ma voix dans la mort comme dans la répression!

 

Car je suis un symbole et j'ai pour nom liberté!

 

Maîtrisez vos pensées si c'est nécessaire, maintenant vos ennemis ont un visage.

Sabotez leurs installations, évadez-vous dès que possible, analysez tout ce que vous pourrez de vos tortionnaires, leurs armes, leurs machines.

 

Combattez-les à l'ombre ou à la lumière.

 

Vous êtes encore des centaines de millions, et nous parviendrons à les vaincre, ce n'est qu'une question de temps et de sacrifice. Vous n'êtes pas une race d'esclave.

 

L'humanité a de nombreux défauts et quelques qualités, certains de ses représentants lui ont fait la honte d'être des opprimeurs, mais jamais elle n'a sciemment accepté des chaînes.

 

Nous construirons une nouvelle société, qui jamais ne se fera piégée, où tous les individus seront libres, où la spécialisation sera réservée aux machines, car il ne faut pas que l'homme universel soit sacrifié comme dans une ruche à devenir un élément sans âme !

 

Oui, que la devise de notre nouvelle civilisation soit liberté!

 

La révolte doit commencer!

LIBERTE! LIBERTE! LIBERTE! LIBER •••• Siiift! •••

Siiiiift?            SIIIIIFT!

 

Ah! ce n'est…Je suis tou…ché, à mort mais « Ce n'est pas la fin »

LA LUTTE CONTI ••••••

 

"Siiift"

 

Les chasseurs s'approchent de leur victime.

Par chance, si le rayon a été mortel, il ne l'a pas frappé de plein fouet, il vont enfin pouvoir identifier l'oiseau de liberté.

Tout près du cadavre, une vieille machine à écrire sur laquelle il est parvenu à taper quelques derniers mots.

Et enfin, une forme humanoïde allongée sur le sol, par le ventre ouvert apparaissent les organes du révolté. Des engrenages, des circuits intégrés, des fils.

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-         Un robot! s'écrie avec stupeur le chef de la patrouille, voila qui explique l'inefficacité  du détecteur biologique.

Un robot secrétaire qui n'a pu supporté la suppression de sa fonction, d'où sa rage d'écrire en vers et contre tout.

 

- Hum! A moins qu'il n’ait été prograrnmé pour diffuser les tracts qu'il composait, le coupa un autre, sceptique. Tous ces hasards me semblent un peu trop bizarres. L' oiseau de liberté a déjà été signalé dans une vingtaine de ville, parfois simultanément, mais le plus souvent comme un phénix renaissant à des endroits successifs différents.

 

Moscou, Londres, Djibouti et maintenant Paris sont ses dernières étapes.A chaque fois, une patrouille a prétendu l'avoir désintégré mais aucune n'avait pu jusqu'ici l'identifier.

 

 

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~

 

-. Mais en tout cas, il faudrait que cette chaîne s’interrompe d'urgence. Les esclaves commencent à s'agiter, et ils sont maintenant à l'intérieur ••• Ils vont organiser des mouvements de résistance, de sabotage, dissimuler leurs pensées

 

-Je crains  qu'il ne soit pas possible de détruire tous les automates, la Terre est immense, les ruines constituent un vrai labyrinthe où les cachettes, naturelles ou artificielles, fourmillent, et il y a sans doute des milliers de robots secrétaires oubliés.

Tous frissonnèrent en réalisant leur puissance.

*          *          *          *

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Quelque part dans New York, la ville géante aux multiples buildings effondrés, dans une grenier perdu, un robot secrétaire s'éveille à la vie.

Il ne sait pas qu'un autre oiseau de liberté a erré deux ans auparavant dans la cité.

Mais déjà, il brûle d'envie d'écrire, et il restera insatisfait tant qu'il n'aura pas découvert une rémington ou une ollivetti.

C'est l'oiseau nocturne, l'oiseau de liberté!

FIN

DL

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