Comme chaque jour je me lève au radar. Je me dirige
jusqu’à la cuisine où je me fais un petit café que je savoure dans un état
semi-comateux.
Ensuite rasage et lavage de dents. Je regarde dans la
glace le visage impersonnel qui me rend un regard vide.
Enfin la douche qui me ramène au monde des vivants,
pour cinq minutes au moins.
Je m’habille alors de l’un de mes costumes gris,
comme d’habitude.
Je prends ma mallette et me dirige vers la station de métro.
Métro, boulot, dodo est mon triste quotidien.
Le métro est encore désert à cette heure.
Je me réfugie toutefois dans le photomaton et ouvre ma
mallette. J’en extraits une combinaison que j’enfile par-dessus mon costume.
C’est préférable pour ne pas se salir dans le métro. Puis j’échange mes
chaussures noires contre des basquettes, enfin je passe une cagoule.
Je sors puis j’inspecte d’un œil critique le
tourniquet à l’entrée. On ne sait jamais, il ajoute toujours des systèmes
nouveaux.
Il paraît qu’il y avait des gens dans le passé, des
poinçonneurs, incroyables. Tout a été remplacé par des tourniquets. Mais il
était trop facile de passer par-dessus. Alors ils ont ajouté des guillotines.
Pour ces dernières, j’ai besoin d’un complice.
Justement une jeune femme débouche dans mon désert. Elle fait glisser son
passe sur le capteur et pousse le tourniquet. C’est le moment pour moi. Je me
précipite et passe avant que la guillotine ne se referme.
C’est un peu chaud. Avant pour ne pas pincer les gens,
il restait un espace suffisant en position fermée pour pouvoir se glisser à
condition d’être svelte.
Mais à présent il n’y a plus d’espace. Je sens les
lames claquer dans mon dos. Plutôt acérées…
J’ai un peu bousculé ma brave complice, je ne tente
pas de garder l’équilibre et j’enchaîne sur un roulé boulé pour rester
bas. Certaines stations sont équipées de mitrailleuses…
Je jette un regard moqueur aux caméras, mais avec ma
cagoule ils ne peuvent voir mon sourire.
Je me relève et me dirige doucement vers le quai.
Petit frisson dans le dos au détour d’un couloir.
C’est là qu’ils se cachent parfois. Des contrôleurs appuyés par des
militaires en arme.
Mais rarement le matin à cette heure.
Je bats le pavé sur le quai quasi désert.
Une rame arrive. Je jette un coup d’œil discret aux
wagons. Pas de contrôleur.
Les stations défilent. Il me faut rester vigilant à
chaque arrêt. Des commandos de contrôleur peuvent toujours vous encercler. Ils
investissent trois wagons en même temps puis se replient sur le wagon central.
On est alors fait comme un rat.
Enfin j’arrive à destination. Sonnerie, ouverture de
porte, je me dirige vers la sortie.
Il est un peu plus tard et il y a un peu plus de monde.
Cette sortie est facile, un simple tourniquet.
Je saute négligemment par-dessus lorsque j’entends un
cliquetis.
J’en ai froid dans le dos. Je n’ai que le temps de
m’écraser à terre. Le tacatas des mitrailleuses retentit et je sens le
souffle chaud des balles sifflant au-dessus de moi.
Je rampe au-delà de la zone dangereuse.
Voilà, c’est terminé. J’ouvre ma mallette pour y
ranger ma combinaison et reprendre mes chaussures cirées.
Je rajuste ma cravate et me voilà près pour une autre
journée ennuyeuse de cadre obscure, jusqu’au soir pour le retour au dodo.