La petite fille à la poupée

Over-cron errait depuis des siècles ou peut-être des millénaires.

Ca n’avait aucune importance, ça ne l’inquiétait pas, car Over-cron ne pensait pas. Il dormait depuis des siècles ou peut-être des millénaires.

Depuis qu’il avait quitté le ventre protecteur d’Over, en quelque sorte sa mère. Over, qui parcourait l’univers. Il était plus juste de dire qu’elle sautait par bonds instantanés se chiffrant en milliards d’années-lumière, empruntant quelque mystérieuse dimension. Dans chaque galaxie, elle s’arrêtait un cours instant, projetant dans toutes les directions de l’espace une nuée de petits.

Même cela Over-cron n’aurait pu le comprendre, même activé, lui qui n’était équipé que de simples propulseurs « antéluminiques » était donc astreint, comme tous les autres objets de ce ridicule petit univers à ne pas dépasser les 3000 000 km/s. Ainsi avançait-il, depuis des siècles ou peut-être des millénaires.

Soudain, une première étincelle jaillit à l’intérieur de son cerveau, section détection.

Aussitôt, il s’activa, sans transition et pourtant sans surprise. Il pensa ou plutôt analysa les différentes données. Il captait des influx, là, dans un petit système solaire de type G, à moins de trois années-lumière, position : Phi :0.749, Thêta : 2.123, Iota :1.686

Il devait y aller ! Il n’était qu’une nef robot conditionné dans ce sens par les maîtres. Qui sait ce qu’il trouverait ! Mais toute intelligence émettait des ondes organisées, ses instruments en détectaient, donc il irait, c’était sa mission, il lui faudrait bien trois ans, mais qu’était-ce pour lui qui voyageait depuis des siècles ou peut-être des millénaires.

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Yvan était affecté à la base secrète de Kazan. Il était très fier de son poste, n’était-il pas un des éléments protégeant sa bien-aimée patrie contre les machinations capitalistes ? Et non le moindre ! Il surveillait six heures par jour l’écran six du plus puissant radar de l’URSS et donc du monde !

Or, voilà que rompant avec la monotonie jamais démentie depuis plusieurs années, son radar accrochait quelque chose de non signalé. Il fut pris de doutes, il préféra attendre un second balayage avant d’avertir ses supérieurs.

Il ne savait pas qu’une caméra espion, enregistrant constamment son travail viendrait étayer son témoignage, prouvant qu’il n’avait pas rêvé. Mais avant de recevoir la confirmation de ce qu’il avait cru remarquer, une mosaïque d’étincelles brouilla l’écran.

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Aux USA comme partout ailleurs, le même phénomène était observé. Même les ondes hertziennes semblaient comme bloquées. Les récepteurs radios ne diffusaient plus qu’un concert de fritures, avec variation sur parasites. On accusait évidemment l’étrange OVNI que personne n’avait eu le temps de repérer.

La parole était aux scientifiques, chacun en profita pour émettre sa petite théorie personnelle plus ou moins absurde. L’une d’elles l’était beaucoup moins : L’éther était saturé d’ondes radioélectriques de toutes longueurs d’ondes et de toutes fréquences.

Hypothèse qui paraîtra évidente à tout profane, mais qui le fut beaucoup moins aux yeux des autres éminents spécialistes, qui continuèrent à couper les cheveux en quatre.

On se querella ensuite sur l’auteur de cette attaque. Les responsables, s’ils existaient, devaient être considérablement en avance, car toutes les communications de la terre étaient bel et bien paralyses. Il s’ensuivit un gel immédiat de la diplomatie internationale.

Mais l’étrange brouillage disparut brutalement. Une explication, peu vraisemblable, mais rassurante, fut préparée à l’intention des malheureuses masses traumatisées par la privation de six heures de télévision.

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Papa fumait tranquillement sa pipe. Il lisait presque religieusement son journal attitré. Il n’y comprenait pas grand chose, mais c’était une tradition dans les campagnes, le chef de famille se devait d’être au courant. Lui seul avait ce droit, et il aurait été absurde de ne pas en user.

Kissinger congédié ? Que lui importait ? Est-ce cela qui endiguerait le continuel dépeuplement de l’Ardèche, son doux pays ? Il aimait la tranquillité, mais non la solitude.

Toutefois, il fronça les sourcils, quand il vit sa progéniture entrer tumultueusement, sans le moindre respect pour les usages. L’aîné des cinq enfants, âgé de quinze ans, trembla de tous ses membres quand le père l’interrogea d’un regard peu amène.

Mais il parvint cependant à bafouiller :

-       Pa…Papa ! Il… il y a une chose près de l’ancienne mine !

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Le colonel Eurin jeta un regard approbateur sur les militaires encerclant l’engin spatial ennemi. Pourtant, s’il était satisfait du dispositif, il n’y avait pas de quoi pavoiser quant à sa mise en place ! Il bouillait rien qu’en y pensant !

Vingt-quatre heures, vingt-quatre heures avant que l’alarme ne touche le haut commandement, et que l’affaire ne soit remise en des mains compétentes : les siennes.

A chaque échelon, du plus terne sous-fifre à l’huile la plus grassouillette, on avait crié au canular. Il avait fallu voir pour croire.

Et quant on sait comme ce sale coin perdu de l’Ardèche était retiré..

Enfin, nous sommes prêts maintenant…. Il ne reste plus qu’à attendre le bon vouloir de ce machin.

Le colonel devait s’avouer qu’il n’avait jamais rien vu de tel ! Et pourtant, son architecture ne relevait certes pas d’une imagination débordante. Sa forme était tout simplement ovoïde, un vulgaire ballon de rugby couché, voilà qui suffisait à le décrire.

Le métal étincelait sous le soleil, il ressemblait à de l’aluminium mais ce n’en était certainement pas, car impossible de le percer, ni de l’altérer en quoi que ce soit. Tout diamant y perdait son arête, et le puis puissant des chalumeaux son oxy-acétylène. Sa surface était aussi lisse que le désespoir qu’elle engendrait sur les techniciens. On avait renoncé à le sonder électroniquement, car aussitôt le fantastique brouillage reprenait.

Ami ou ennemi ? C’était l’angoissante question… Patience était la consigne.

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Ils attendirent longtemps. Une tentative de prise de contact ou n’importe quel fait nouveau. Ils demeurèrent passifs, deux jours, vainement. Puis ordre fut donné de tirer le rituel coup de semonce en l’air. De simples balles de fusils. Satisfaisant à ce protocole tout terrien, les extraterrestres répliquèrent de même, en plus nourri, un peu comme une salve d’honneur.

Eurin soupira

-           S’ils n’ont que ces armes-là, la partie est gagnée

Puis il blêmit, quelques soldats, trop nerveux tiraient sur l’OVNI ! Il jura. Ah ces trouffions qui n’avaient jamais connu le feu !

Bien sûr, la coque de l’engin pouvait sans doute supporter bien plus, mais comment interpréteraient-ils ce tir ? Quel serait leur…

La réaction qu’il craignait ne se fit pas attendre, elle prit la forme d’un véritable mur de plomb, s’abattant impitoyablement sur les premières lignes, causant la mort de nombreux soldats.

Eurin se raidit : L’heure n’était plus à la diplomatie, mais à la riposte militaire.

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Un homme, derrière un immense bureau réfléchissait. Tout avait échoué, ils se contentaient d’utiliser les mêmes armes pour riposter. Même les missiles les plus puissants avaient échoué lamentablement.

En retour, les milliers de bombes fusées n’avaient eut apparemment d’autre but que le hasard. C’était miracle qu’aucune grande vile du sud de la France n’ait été touchée, heureusement.

Mais la région était à feu et à sang, dévastée par d’innombrables cratères.

Il lui fallait prendre une décision.

Il hésita un court instant, lui dont le véritable domaine, sa grande spécialité n’était que les finances à l’origine, et non la guerre.

Il appuya sur un bouton, disant simplement : Plan H

Un homme venait de parler, la France décrétait !

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Over-cron observait de toutes ses caméras la planète toute proche. Sa mission était simple : Atterrir et attendre les maîtres.

Le conditionnement d’Over-cron, l’éclaireur robot avait été étudié dans ses moindres détails. Mais comment distinguer une civilisation amicale d’une civilisation hostile. L’intelligence pouvait prendre tant de formes dans l’univers. Les maîtres dans leur infinie sagesse avaient trouvé la réponse. Il suffisait d’imiter en tout point les actions des indigènes. Ainsi, s’il s’agissait de preuves d’amitié (êtres pacifistes), sa réponse les rassurerait. Et plus tard, ils deviendraient les amis des maîtres.

En cas d’attaque, celle-ci se retournerait immanquablement contre eux, et cette race serrait un jour ou l’autre détruite par sa propre scélératesse.

Mais de toues façons, ce n’était pas à Over-cron de juger, il n’était pas conditionné pour, Il n’était en quelque sorte que le miroir du destin. Il détecta un réseau d’ondes radioélectriques dirigées sur lui.

Il améliora le système, le rendant omniprésent, puis les renvoya en accroissant l’intensité d’émission. Il se posa près de la mer, mais évita les grandes concentrations. De toutes façons, d’après leur rapidité de déplacement, ils n’auraient aucun mail à le rejoindre.

La lenteur de la réaction lui parut donc anormale, malgré sa perception toute relative du temps.

Par contre sa modalité sous forme de projectiles ne l’émut pas. Automatiquement, il les reproduisit, puis s’en servit.

Il perçut ensuite la proximité d’un nouvel engin, plus petit. Il analysa. Le principe d’utilisation de l’élément uranium comportait une erreur, qu’il rectifia pour ses propres modèles. Les siennes seraient quinze à seize mille fois plus puissantes. S’il avait été équipé de circuits adéquates, il aurait su qu’une seule de ses bombes libérée suffirait à faire littéralement éclater la planète. Mais les constructeurs d’Over-cron avaient jugé cet équipement superflu.

La mission d’Over-cron touchait d’ailleurs à sa fin. Car placé comme il l’était, à l’épicentre du cataclysme, il serait anéanti avec la planète.

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Eurin jetait un œil torve sur la rampe qui lancerait la fusée porteuse de l’obus atomique. Le président lui-même avait ordonné l’emploie de l’arme ultime.

Sa puissance, relativement faible, creuserait tout de même un cratère de dix kilomètres. Il avait fait évacuer la région (heureusement quasi déserte) à cinquante kilomètres à la ronde. Seule restait (sous bonne garde) la famille qui avait donné l’alerte.

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Un homme regardait sur un écran de télévision le vaisseau spatial inconnu. Lui par sécurité se trouvait à moins cent mètres, sous des tonnes de béton. Diable que deviendrait la France sans lui. Il appuya sur un bouton bleu, bleu d’azur et de liberté, dans 10 mn. Un homme avait décidé, la France agirait et le monde en subirait les conséquences.

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Elle pleurait, serrant sa petite poupée contre son cœur déchiré. Ses frères l’avaient entraînée dans les galeries de l’ancienne mine. Là où régnait l’ogre qui vous guettait dans les ténèbres, afin de vous manger. Que pouvait-elle faire, elle, petite fille de six ans. Heureusement qu’il y avait Françoise, sa meilleure amie. Elle au moins ne l’avait pas trahie, supportant en silence les mêmes injustices qu’elle. Bien sûr, sa petite poupée n’était plus très belle avec son unique jambe, son teint et ses cheveux décolorés, et ses yeux ternes, mais avec elle, elle avait échappé aux garçons. Oh combien elle le regrettait à présent. Elle était seule, abandonnée au milieu d’un grand trou, la carrière.

Françoise l’encouragea de son seul œil bleu (l’autre était tombé), elle décida d’en sortir. Elle tomba et pleura car elle s’était écorché le genou. Mais elle avait réussi. Elle scruta d’un œil vainqueur l’horizon rocailleux mais ne vit pas ses frères. Ils étaient partis l’oubliant, fatigués de leur jeu d’espion. Puis elle vit la chose brillante, et en oublia de pleurer.

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A loin, une mère élevait une voix plaintive : Mes enfants ! Qu’avez-vous fait de mes trois petits ?

-           Stoppez le compte à rebours ! ! ! S’écria Eurin.

A six cent kilomètres de là, une voix hurla :

-           Colonel ! Pourquoi arrêtez-vous le décompte?

-           Des enfants ont disparus, monsieur, sans doute égarés dans la zone interdite.

-           C’est malheureux, mais la France exige…

Mais Eurin n’écoutait plus. Il ne répondit même pas. Il observait sur son écran de contrôle, autant fasciné qu’horrifié, la frêle silhouette s’approchant du monstrueux vaisseau extraterrestre.

-           Véronique ! Ma petite fille ! s’écria la mère.

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Elle atteignit bientôt cette gigantesque coque que nul explosif n’avait pu percer.

Mais la violente réaction qu’attendait le colonel ne vint pas. Nul ne sait ce qui se passe dans la tête d’un  enfant de cet âge. Elle paraissait craintive, et pourtant elle parla au vaisseau cosmique qui la dominait de plus de dix mètres.

Ce n’est pourtant pas aux monstres à tentacules qui hantent peut-être ce bidule qu’elle s’adresse ! Elle ne peut savoir, pensa le colonel

-           Bonjour, gros rocher brillant ! Je m’appelle Véronique et elle c’est Françoise.

Elle se tut déconcertée, puis reprit :

-           Vous ne dites rien ? Vous n’êtes pas très poli. Qu’ai-je fait de mal ?

Mais le rocher resta muet, ce qui effraya la petite fille.

Elle s’approcha tout contre la base de l’astronef

-           Je vous laisse ma poupée, dit-elle, déposant son trésor contre la paroi, comme une offrande

Eurin frémit, il pouvait arriver n’importe quoi avant que les secours arrivent et récupèrent la petite. Et il assistait à la scène, impuissant.

Soudain des dizaines de petites poupées apparurent tout autour de l’engin.

Nul n’en avait jamais vu de plus magnifique. Toutes semblables, à la longue chevelure dorée, étincelante de mille feux, aux yeux d’azur, magiquement braqués sur la fillette.

Et curieusement, elles présentaient toutes un air de famille à Françoise, malgré leur joli teint rose de poupées toutes neuves.

Et Véronique regardait, émerveillée.

Eurin comprit soudain confusément l’incroyable vérité : L’escalade unilatérale de l’attaque, la riposte égale quoique plus intense. Il devina à coté de quoi ils étaient passés. Il ne répondit pas aux vociférations de l’homme à l’autre bout du fil. Du moins pas encore.

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Immuable, Over-cron analysait. Une fois de plus ses détecteurs lui avait permit de répliquer (miroir) à une nouvelle avance (cadeau ou attaque ?). Il avait analysé le modèle déposé contre sa coque, établit des corrélation avec l’être tout prêt, amélioré puis reproduit le modèle.

Quand à la fameuse bombe précédente ils ne l’employèrent pas. Alors il désintégra le stock préparé. Il n’y eut pas d’autres « avances » de ce type. Il n’y avait plus qu’à attendre l’arrivée des maîtres si sages, le temps importait peu, il attendrait s’il le fallait, des siècles ou peut-être des millénaires.

Fin

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Note : J'aime moyennement cette nouvelle, elle reste théâtrale et le coté antipolitique ne me motive plus depuis qu'il est devenu à la mode. Reste l'effet miroir et la poésie de la poupée qui font que je l'ai conservé.

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