Le tueur innocent

 

"JE ne crois pas à l'existence d'une vérité pure, totale. Elle comporte toujours une part d'erreur nommée incertitude que la génération suivante se charge de réduire"

 

L'INNOCENT PETIT TUEUR

Zut!ZUT et rezut! Voilà que ça recommençait!

Tout avait pourtant si bien commencé. Ses employeurs occasionnels lui avaient passé leur première commande, un peu étonnés de ses références, car peu d'hommes exerçaient encore le métier, et l'état ne les encourageait guère dans cette voie.

Et lui, Emile, s'était préparé avec le plus grand soin, car les clients étaient encore plus rares, et puis il aimait le travail bien fait. On a de la conscience professionnelle ou non!

Et voilà, il se trouvait comme prévu à six heures du matin dans un appartement inconnu, devant sa victime désignée gisant sur le tapis dans un bain de sang.

Car lui Emile exerçait le difficile métier de tueur.

Seulement voilà! Ce n'était pas lui qui avait tué le quinquagénaire au crane défoncé.

 

Il était glacé d'effroi!

D'autres à sa place se seraient réjouis. Quelqu'un d'autre avait fait le boulot à sa place, mais pas lui. Ca finirait par se savoir et ça nuirait à sa réputation. Et puis, il sentait la direction des évènements lui échapper des mains, et c'était dangereux.

Un criminel doit toujours être maître de la situation sinon il est fini. Et Emile ne savait soudain plus que faire.

Figé par la surprise, il resta quelques instants passifs, mais son inaction lui parut durer des heures.

Pris de panique, il s'ébroua mentalement, réfléchissant à toute allure.

Voyons! Avait-il laissé des traces compromettantes? Non, certainement pas, il n'avait fait qu'entrer,  et les quelques précautions d'usage avaient du suffire. Il se les remémora moins par nécessité que pour se rassurer:

Gants pour les empreintes, brouilleur pour rendre non identifiable les traces biologiques que tout homme laisse invariablement sur son passage.

Oui, c'était bien, mais il n'était cependant pas tranquille.

Cependant, il lui fallait évacuer les lieux d'urgence. Il était déjà six heures et quart, et la ville n'allait pas tarder à se réveiller.

 

Tandis qu'il s'enfuyait de blocs en blocs, il reprenait contenance, se disant qu'il avait eut tort de s'en faire cette fois-ci, il ne serait pas prit.

Cependant, son assurance aurait fondu comme neige au soleil s'il avait remarqué le personnel de l'aube, nettoyant la ville avant que la vie n'y renaisse pour une journée encore.

Deux femmes l'avaient vu quitter la chambre du crime, un homme l'immeuble du meurtre, et dix autres le quartier du forfait.

Tous notèrent le visage défait de l'inconnu. Et s'il n'y avait encore que cela!

Quatre heures après, il était arrêté chez lui et inculpé de meurtre.

Dans toute autre partie du globe, il aurait été jugé dans les quarante-huit heure par un ordinateur du crime, qui, programmé suivant les témoignages, preuves et présomptions, tenant compte à leur justes valeurs (infime) des invraisemblables allégations d'innocence de l 'accusé, l'aurait condamné à la peine capitale:

Le bannissement sur Méphisto.

Mais voilà, toute l'affaire se déroulait dans un quartier d'essai des nouvelles techniques de justice que l'on comptait étudier avant de les appliquer à la planète entière.

Et là tout était différent!

 

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- Lieutenant Stix, j'ai une mission pour vous.

C'était toujours par cette phrase pourtant anodine que les ennuis lui arrivaient au lieutenant.

Stix comprit qu'une fois de plus il allait devoir se transformer en flic, ce dont il avait horreur!

Résigné, il demanda: -De quoi s'agit-il?

Son chef fit mine de ne pas avoir remarqué le peu d'enthousiasme de son subordonné.

- Stix, la justice est bafouée!

Il y a quelque chose qui cloche dans la nouvelle technique judiciaire que nous mettons au point. Or, nous en attendions beaucoup.

Bien sur, il vous faudra coincer un criminel, mais le plus important pour nous est que vous parveniez à trouver la faille dans notre système, pour que nous puissions corriger. Aussi votre rôle cette fois-ci ne sera pas tout à fait policier.

Stix attendit avec inquiétude la nouvelle invention de son tortionnaire, il n'avait pas tort.

- Stix, vous allez être procureur général

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Il y avait un président trônant derrière un imposant bureau métallique, monté sur estrade, flanqué de quatre fonctionnaires en robe noire comme lui, mais dont le rôle, je le savais, était purement décoratif.

Il y aurait un avocat pour m'assister, et un autre pour m'enfoncer.

Il y aurait des témoins plus au moins accablants. Mais je savais que ce tribunal au plafond clair, aux parois recouvertes de lambris, au sol plastifié(???),et aux barrières rustiques avec toute sa clique de magistrat. ce n'était que du vent. Ce tribunal ne différait pas vraiment des autres.

Malgré tous les pompeux discours qui allaient enfiévrer la salle, l'ordinateur camouflé dans le bureau seul prendrait la décision et le respectable président n'aurait qu'à l’entériner. Je le savais par expérience.

Cependant, cette fois-ci, quelque chose différait des autres fois. Je le compris avec l'entrée du procureur générale:

Ce n'était nullement un avocat en robe mais un gars de la spatiale, vêtu d'un collant noir mat. Je reportais mon attention sur lui:

Sous un autre habit, il l'aurait jugé comme un jeune homme pas encore mûri. Mais il fallait se méfier, le corps spatial constituait une élit.

Le procureur était grand, mince, mais peu musclé. Un visage agréable mais assez sombre.

Son avocat également était jeune, et quelque peu dépassé par les évènement. Amusé par son air effaré, je le réconfortais. La situation n'était pas sans humour.

Le président déclara la séance ouverte, et le procureur prit la parole.

-         Je tiens à préciser que l’accusé comparait pour la sixième fois devant cette cour

J'attendais la suite, mais il n'y en eut pas.

La remarque en elle-même n'était pas inutile mais elle aurait appelé quelques éclaircissements. Décidément, cet officier n'était pas du métier. Réellement je ne me sentais pas concerné par le procès. J'y assistais simplement en tant que vieux spectateur habitué.

Ce fut le défilé des témoins.

Les questions posées étaient comme d'habitude surtout celle transmises discrètement par l'ordinateur aux avocats.

Le mien tentait vainement de plus de semer le doute dans l'esprit des interrogés.

Ils comparaient par ordre croissant d'importance. Au début, ce fut fort ennuyeux: Des nobles citoyens m'ayant croisé dans le quartier. Ils disaient tous à peu près la même chose. Il y aurait quelques coupure à réaliser sur le prochain scénario.

Je jugeai la conclusion finale de peu d'intérêt:

Tous ces gens me qualifiaient d'un "ce monsieur allait d'un pas très rapide" assez prudent.

Le témoin suivant était déjà plus sérieux.

C'était un gros homme rougeaud assez intimidé qui assura que j'étais bien le "monsieur qui­ sortait du bloc où logeait la victime au pas de course."

Déclaration un peu confuse, mais je lui pardonnais puisque tout le monde, même l'ordinateur devait avoir comprit.

Deux dames suivirent dont l'une était charmante.

Il faudrait que je m'arrange pour avoir son numéro de vidéophone, peut-être m'accorderait-elle une sortie avec elle.

Elie était mince et bien faite. Vêtue pour la circonstance d’un collant rose, qui se voulait aussi sage que celui du procureur ne faisait que souligner ses formes. Cette pure jeune fille certifia m'avoir vue sortir en courant de la chambre le visage déformé par l'émotion.

Ses lèvres pulpeuses ajoutèrent qu'à son avis les affreux criminels dans mon genre devraient être torturés, et elle donna des détails de la plus touchante précision.

L'adorable garce!

Sa collègue fit chorus, mais elle était beaucoup moins jolie.

Bref, rien de bien neuf.

 

Cela ne semblait pourtant pas être l'avis de mon avocat.

N'avait-il pourtant pas lu mon dossier?

-         Messieurs, voici maintenant le témoin qui avait manqué aux autres affaires: Un témoin oculaire du crime.

 

Là, le petit lieutenant de la spatiale m'avait surpris, enfin du neuf.

C'était un homme d'une trentaine d'années qui faisait son entrée. Sage et posé, l'air sérieux et honnête, le type même du fonctionnaire rangé quoi:

Il m'avait vu d'un bloc distant d'une vingtaine de mètres seulement, fracasser la tête de la victime avec un bozam.

Sa vue était parfaite, le jour suffisant.

Dans tout autre procès, son témoignage eut été suffisant et déterminant quoique superflu, les autres étaient déjà assez accablants.

D’abord le bozan(bibelot longitudinal assez lourd) était bien l'arme du crime, mon type d'arme d’après les psychologues. Ensuite on avait trouvé dans ma chambre un brouilleur d'ondes biologiques.

Mais il restait encore à entendre le dernier témoin, le mieux placé, l'irréfutable:

Moi!

Je ne me sentais cependant plus aussi tranquille. Quand à mon avocat, il semblait totalement découragé. Il attendait le coup de grâce.

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Le président appuya sur un bouton, et ma chaise se transforma en détecteur de mensonge. Mieux que cela, elle était capable de détecter les pensées que j'avais lors des réponses.

A ma droite, une ampoule diffuserait une rassurante clarté verte qui passerait au rouge en cas de mensonge.

Pour mon avocat, c'est la fin, le coup de grâce.

Il avait beau le savoir, il était impressionné. C'est cet appareil qui est à l'étude, c'est à cause de lui que tant d'humains sont là avec l'ordinateur.

Le procureur commence avec les questions d’usage mes noms, age, et profession.

- Je m’appelle Emile, j'ai trente-quatre ans et je suis tueur

Pan, je les attaque tout de suite!

Le jeune a plus d'estomac que je ne le pensais, car il est le seul à ne pas paraître stupéfait.

-         Vous a-t-on chargé d'un contrat précis? Et si oui, Lequel?

- Celui de tuer Larcos, quinquagénaire habitant à l’habitacle 236 du bloc40

- Contrat que j'ai accepté. Vous êtes-vous rendu hier matin au domicile

du sieur Larcos avec un bozam.

-         Je m'y suis rendu, bien sur, mais pas avec un bozam, on n'emporte pas un bibelot Comme arme, j'avais mon fidèle micro-laser.

Je commençais sérieusement à m'amuser.

Mais pas mon avocat, qui se ratatinait dans son siège.

-Le bozam appartenait probablement à la victime. Admettez-vous vous être trouvé vers les six heures au domicile en question et en être ressorti dans les condition définies par les témoins.

-Bien sur.

La petite ampoule brillait toujours d'un beau vert mais pas du tout rassurant de l'avis de mon avocat, presque évanoui.

Il ne leurs restait plus qu'à poser la dernière question solennelle. Malgré eux, ils ne pouvaient s'empêcher d'être mélodramatiques.

Tout était contre moi: Témoignages, scientifiques, psychologues,et chacune de mes paroles jusqu'à présent. Je les regardais,goguemard.

- Emile, avez-vous tué?

- Non!

Stupeur dans l'assistance: La clarté verte n'a même pas frémie.

- Que dit le détecteur?

Une voix mécanique intervînt:

- L'accusé ignore l'auteur du crime, et ce n'est pas lui.

Il est à la fois satisfait de vous voir impuissant, et mortifié car quelqu'un l'a frustré de sa tache. Complexe de la conscience professionnelle bafouée.

C'était assez juste, cette foutue mécanique ne s'était pas trompée. Pour la sixième fois quelqu'un me devançait dans mon contrat, et même si je lui devais cinq acquittements, cela ne m'empêchait pas de le haïr férocement.

C'était maintenant à l'ordinateur de rendre son verdict. J'avoue que j'attendais avec curiosité celui-ci, jamais mes précédents jugements n'avaient été si loin dans le paradoxe.

Un peu de fumée s'éleva du bureau et quelques lampes-témoins s'allumèrent pendant quelques instant, mais le président reçut cependant une réponse qu'il nous lût.

"Les témoins ayant refusé, comme tels étaient leur droit de passer sous détecteur(De toute façon, même sous détecteur, un témoignage directe a priorité sur un témoignage distant de vingt mètres),l'accusé est certifié innocent".

Une étincelle se déclencha suivie d’un nuage de fumée.

- Un instant, votre honneur

- Oui, monsieur le procureur, pouvez-vous m’expliquer ce qui arrive à l’ordinateur?

-         Hum! Je suppose qu'analysant simultanément deux thèses contradictoires dont l'une était quasi certaine et l'autre totalement certaine, ses circuits ont grillé. Mais soyez tranquille, si le computer a donné sa réponse, c'est que le service automatique interne de réparation à jugé que les dégâts n'influaient pas sur la décision

-         J'en suis conscient votre honneur, mais me permettrez vous de poser quelques questions à l'ex-accusé dans le but de lever l'indétermination.

Que lui arrivait-il au type de la spatiale ? Etait-il fou? Mais alors, pourquoi l'ordinateur du crime lui accordait-il sa requête ?

C'était la première intervention purement humaine dans cette affaire, mais je n'éprouvait aucune inquiétude, s'il essayait de discréditer le détecteur, il ne parviendrait qu'à briser sa carrière.

- Voici mon raisonnement. Tout d'abord, je tiens pour infaillible le détecteur Secondo, je prends pour hypothèse la justesse du témoignage sur le meurtre.

Conclusion: Emile a commit le meurtre mais n'en garde aucun souvenir.

Cela commençait à chauffer pour moi.

Pour la première fois depuis la mise en service du détecteur dans le secteur, j'étais en réel danger. Bien entendu, mon avocat était le seul à ne pas le comprendre, il cria:

- GROTESQUE!

- Non scientifique, aujourd'hui, m'importe qui peut acheter un appareil qui vous conditionne en dix minutes.

- Des preuves!

- Ce serait le premier crime, je dirais qu’il n'y en a aucune, mais c'est le sixième.

Un truc aussi géniale ne vous traverse pas l'esprit tous les jours.

Or oublier son forfait, c'est également oublier le système qui vous a permit de tromper la justice, car connaître l'astuce, c'est admettre, en soi-­même sa culpabilité possible, et le détecteur ne s'y serait pas trompé.

Je sentis la peur m'envahir

- NON JE N'AI PAS TUE,NONJE N'AVAIS PAS PENSE A UNE TELLE MANOEUVREl

-Vous voyez bien le voyant reste au vert. Or Emile a tué six fois! Emile, réfléchissez bien, il n'y a pas quelque chose que vous faites avant chaque contrat, une lettre à ouvrir?

-NOOOOOOOON!

-Pour la première fois la petite lampe laissa fuser une sinistre clarté sanglante. Sollicité, le détecteur précisa:

- Dans sa bibliothèque, derrière un volume de Zola, Germinal

- NOOOOOOOON!

Je voyais rouge partout, d'un geste je balayais la cruelle petite lampe, saccageant toute l'ins­tallation. J'allais exercer les même destructions sur le computer du crime quand je me sentis ceinturé. L'ignoble type de la spatiale

- Non, et je m'écroulais en pleurant.

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Emile fut bien entendu condamné au bannissement sur Méphisto, la planète des criminels en liberté.

Le détecteur, lui, poursuivit sa longue période d'essai.

L'ordinateur rectifia ses mémoires, différentiant les pensées de la réalité.

Stix continua sa carrière, en essayant d'oublier cette période où une fois de plus, il n'avait été qu'un sale Flic!

FIN

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