Ce n'était pas Spalette,
universellement connue par les douze soleils de son système, ni Capista le monde
du super luxe.
Seulement une boule grise,
orbitant autour d'un petit soleil jaune, un peu à l'écart dans une galaxie sans
éclat.
Bref, rien ne la destinait à
accueillir le touriste.
Mais ce n'était certes pas
quelque motif touristique qui poussait le petit astronef de plaisance à quitter
la super autoroute spatiale trans-universelle balisée, mais un pressant
impératif matérialiste:
Le vaisseau risquait à tout
moment de manquer de schnorkel compressé.
Or, comme chacun le sait, si on
peut produire du schnorkel à partir de n'importe quoi, matière ou énergie, le
processus nécessite la présence d'un champ gravifique.
Généralement le touriste avisé
choisit soigneusement son monde, afin de passer un séjour agréable tout en
compressant l'élément vital.
Mais l'unique occupant du
véhicule cosmique avait joué les difficiles, dédaignant telle ou telle planète
pour son climat, la forme peu esthétique de ses habitants, ou plus simplement
parce que les couleurs vues de l'espace lui déplaisaient.
Et il était maintenant conduit
à atterrir sur un astricule de troisième catégorie.
Enfin l'heure n'était plus aux
lamentations et il devait s'estimer heureux de s'en tirer à si bon compte.
Sans grande conviction il
entama la première orbite, histoire d'avoir une vue d'ensemble. Rien
d'attrayant, une terre désolée.
Mais à haute altitude il était
difficile de se faire une idée.
Il envoya une sonde pour
analyser l'atmosphère. Celle-ci quoique assez pauvre en oxygène était toutefois
respirable. Repérant la première plaine venue, il programma l'atterrissage.
Il était un peu rassuré, il
avait imaginé pire, et il devint même très intéressé lorsqu'il découvrit des
vestiges de construction lors de la descente. Ce n'était guère que des ruines,
mais peut-être aurait-il la chance de ramener des vestiges d'une civilisation
disparue.
Sa bévue de pilote du dimanche
pouvait encore se transformer en triomphale découverte archéologique.
Comme il se trouvait dans
l'hémisphère plongé dans l'obscurité, il décida de dormir en attendant le petit
matin.
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Le jour le déçut cruellement.
Il avait imaginé un chaud soleil réveillant joyeusement un reste de nature.
Mais hélas une voile de nuages
blancs s'opposait à son rêve.
A vrai dire l'ensemble était
sinistre. L'air raréfié était vif et froid.
Une clarté blafarde
enlaidissait encore les derniers vestiges de la civilisation disparue, quelques
pans de murs délabrés et désespérément solitaires.
Mais ce qui l'étonna le plus,
ce fut les croix.
Des croix partout, plantées sur
d'innombrables monticules allongés de terre.
Comme il désirait savoir ce que
recouvrait la terre, Il fut horrifié lorsqu'il découvrit au faisceau sondeur
l'image d'un squelette humain. Incrédule, il essaya de nouveau, à droite, plus
loin, derrière, avec partout la même réponse de l'écho. Il n'y avait aucun
doute, ce qu'il voyait ainsi aussi loin que ses yeux pouvaient porter, c’était
des tombes.
Et les croix devaient
représenter quelque signification religieuse.
Fiévreusement, il télécommanda
quelques sondes aériennes très basse altitude, pour évaluer l'étendue de la zone
maudite.
Il pâlissait à mesure que le
temps passait et que son récepteur lui retransmettait les mêmes images à
d'infimes variations près.
La forme des ruines en effet
changeait, mais partout il n’y avait que des tombes.
Il rappela le matériel, car il
en avait soudain la conviction.
Cette planète n'était plus
qu'un gigantesque cimetière.
*
*
Rix, car ainsi se nommait le
pilote échoué si loin de toute civilisation se croyait pourtant assez peu
émotif.
Il resta cependant 'tout le
reste de la journée à ressasser les éléments en sa possession.
Mais il n'en sortait que des
questions et aucune réponse.
Il avait la certitude d'être en
présence d’humains. Or s'il existait plusieurs berceaux d'intelligence, il n'y
avait jamais eut deux planètes produisant une race semblable.
Il était donc probable qu’une
était cousine avec les habitants de cette infortunée planète.
*
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*
*
Le lendemain Rix déplaça son
engin.
Il se posa près de ce qui fut
sans doute une grande ville.
Puis il se mit à la recherche
d'indices.
Les maisons encore debout à la
périphérie de la ville étaient lugubres. Mais il devina cependant ce qu'elles
avaient pu être jadis.
De souriantes petites villas
qui accueillaient les citadins fatigués par des chemins de terre entretenus
soigneusement.
Mais leurs fraîches couleurs
s’étaient évanouies, elles étaient noires, racornies, leur toit à demi effondré,
les trous béants qui s'appelaient il y a longtemps fenêtres, laissant s'agiter
sous le vent des lambeaux d'étoffe, restes incompréhensibles de rideaux pourtant
fragiles, elles ressemblaient à quelques êtres maléfiques.
Les clôtures pourries ne
retenaient plus que broussailles enchevêtrées, le jardinet hier fierté de
quelque salarié, étant depuis bien longtemps abandonné.
Et partout les éternelles croix
pour renforcer la cauchemar.
Aussi, la première chose qu'il
remarqua en pénétrant dans la cité elle-même fut l'absence de tombe. Mais cela
il le comprit sans peine.
Les rues étaient recouvertes
d'une couche de goudron trop dure à creuser. Sans aucun doute ces humains
utilisaient des véhicules mécaniques rapides, exigeants des surfaces lisses pour
se déplacer •
Au fur et à mesure qu'i
'progressait, il découvrait de nouvelles choses.
De nombreux poteaux métalliques
mangés par la rouille gisaient en tous sens, indiquaient l'emploie d'énergie
véhiculée par des fils, sans doute de l'électricité produite dans des centrales.
Au loin des gratte-ciel de plus de cent mètres de hauteur constituaient des
preuves désolées d'une technologie avancée mais défuntes. Peut-être avaient-ils
été brillants et fiers, mais ils n'étaient plus que des survivants malades et
condamnés.
Il traversa un petit quartier.
Il y découvrit des boutiques
aux vitrines cassées, et les trace d'un pillage désordonné.
Il entra dans plusieurs de ces
magasins avec l'espoir d'y découvrir des indices parmi la poussière et les
toiles d'araignées.
Il trouva ce qu'il supposa être
des vêtements.
Ils reproduisaient assez
grossièrement la silhouette humaine, et il les jugea assez esthétiques mais fort
peu commodes, que de contraintes ils devaient imposer aux corps de ses cousins
disparus.
Il découvrit également une
boutique d'appareils peut-être électroniques, mais ils étaient trop réduits en
pièces pour qu'il pu juger.
Il commença un petit
récapitulatif:
La civilisation qui habitait
jadis cette planète était de type matérialiste. Tout juste débarrassée de ses
peurs ancestrales, grisée par la première ascension technologique qui semblait
lui ouvrir tout l'univers.
Jusque là tout était normale.
Ensuite était venue la grande
catastrophe. Mais qu'avait-elle bien pu être?
Et pourquoi ces tombes partout?
Un peuple ne se met pas ainsi
tout à coup à se suicider bien proprement et sagement en s'enterrant bien
pieusement!!!
Et de toute façon même cela
n'aurait pas expliqué les pillages, bien au contraire.
Et aucun survivant! Il les
aurait repéré sinon avec ses sondes basses altitudes.
Ordre et anarchie, vie et mort,
science et religion, que conclure de ces paradoxes?
Oui,quoi?
l
Un soudain assombrissement dans
la pièce le tira de ses spéculations.
Il sortit précipitamment. Pour
la première fois, la planète s'animait, mais ce n'était pas bon signe.
Il était tard, mais il avait
largement le temps de rentrer avant la nuit, or voilà que de toutes les
directions des nuages noirs affluaient, provoquant prématurément l'obscurité.
Il se hâta, maudissant ce ciel
si inhospitalier, et lui-même pour sa négligence, il aurait du venir avec le
véhicule tout terrains, ou tout au moins avec ses réacteurs dorsaux. Il n'avait
jamais aimé frayer parmi les ruines pendant la nuit.
Et ce n'était pas tout, le vent
se levait, c'était l'orage, l'averse. A chaque bourrasque, la pluie le fouettait
sauvagement.
Et lui qui du fait du manque
d'oxygène ne pouvait courir sous peine d'asphyxie.
Il se saisit de sa lampe de
poche, très puissante heureusement, pour éclairer la route sur plusieurs
dizaines de mètres.
Muni d'un localisateur, il ne
pouvait s'égarer, c’était toujours ça.
D'immenses éclairs le
menaçaient, et à chaque explosion ils se rapprochaient de lui dans un tonnerre
assourdissant comme s'il était leur proie
Il atteignait la sortie de la
ville quand sa lampe tomba en panne.
Il bénit alors le ciel qui lui
éclairait fugitivement sa route.
Cependant il butait sans cesse
contre les tombes. Soudain dans le fracas de l'éclair,il vit une silhouette se
dresser derrière une croix devant lui. Ce fut très fugace mais incroyablement
net, et il sut que jusqu'à son dernier soupire, jamais il n'oublierait cette
image: Celle d'une femme. Mais pouvait-on encore appeler une telle créature une
femme? Plutôt un squelette pourvu ça et là de quelques restes de chaires, le
tout enrobée d'une peau livide, partiellement couverte de haillons.
Et ce visage exsangue aux
cheveux décolorés était tourné vers lui.
Et ces yeux blancs et aveugles
le regardaient. L'horreur lui sembla durer des heures.
Il tenta de surmonter son
trouble, de traiter la situation rationnellement, il se devait de bien
accueillir ces survivants si monstrueux soient-ils.
Mais quant à l'éclair suivant
il vit l’apparition de cauchemar tendre ses doigts crochus pour le saisir, ses
semblants de lèvres se troussant pour découvrir des crocs avides, il s'enfuit à
toutes jambes.
Mais partout il se heurtait aux
même tombes maudites, et souvent une de ces caricatures d'humain, mort-vivants,
morts car à demi-putréfiée, vivants car douée de mouvement. Ils jaillissaient de
la terre et de l'orage pour tenter de le saisir.
Mais finalement, il ne savais
lui-même comment, il parvenais à leur échapper en les contournant, et bientôt il
n'y en eut plus caché derrière les tombes, mais il les sentait derrière lui à
ses,trousses.
Il ne pensait plus, il n'était
plus qu'instinct. Et toutes les craintes oubliées depuis des générations
refirent surface.
Et il se rappela la légende
commune à·toutes les races humanoïdes, ce qui n'avait rien d'étonnant
puisqu'elles étaient toutes nées du même berceau.
Il se souvint de la myriade de
monstres qui peuplaient les frayeurs de ses ancêtres. Les vampires, les goules
et bien d'autres. Les prédateurs directs des humains.
Les uns se nourrissant de leur
sang, d'autres de leur corps, les plus terribles de leur esprit. Il savait
maintenant.
Sur la planète terre le peuple
de la nuit avait vaincu celui du jour.
*
Il ne leur résisterait plus
longtemps.
Il courait plus vite qu'eux,
mais il était déjà épuisé.
Le vent s'opposait de toute sa
force à son avance, la pluie le cinglait furieusement, le tonnerre le rendait
sourd, et constamment éblouit, il était presque aveugle. La terre détrempée se
changeait en boue pour mieux le retenir. Alors que derrière, les créatures du
diable ou du cauchemar d'un dément se courbaient vers le sol, rampaient en
faisant corps avec lui.
Mais surtout ce qui
l'handicapait le plus était la pauvreté de l'air en oxygène.
A bout de souffle, les membres
roidis par le froid, il chuta le visage dans une flaque d'eau salé, et là , il
souhaita mourir en paix. Mais il sentit une main visqueuse lui saisir la
cheville, et dans un dernier sursaut d'énergie, pas par courage mais par
répulsion, il lui échappa et reprit quelques mètres d'avance.
Mais il savait qu'il ne
pourrait aller plus loin alors il fit face.
Ce n'était pas un héros, un
héros aurait cherché dès le début à les attaquer.
Non, il n’était que le citoyen
un peu lâche d’une civilisation hyper avancée.
Un citoyen moyen qui reverrait
les loi parce qu'elles le protégeaient, mais qui n'hésitait pas à les enfreindre
dès qu'il le pouvait sans risque, uniquement soucieux de lui-même.
En l'occurrence, son seul
courage était sa frousse.
Elle lui donna la force de
chercher les moyens de lutter.
La religion?
Il n'y avait qu'à regarder
autour de sois pour comprendre que les emblèmes de la religion ne leur faisaient
pas peur.
Certains de leur victoire, il
ne se jetèrent pas sur lui, mais l'encerclèrent.
Il les voyait autour de lui sur
plusieurs rangs, hideux, décharnés.
Et l'armée des ·ombres entonna
un chant dont il devina ou crût deviner les paroles même s'il ne les comprenait
pas.
“ Regardez-le frères, grand et
gras à souhait. Nous avons eut le tord d'exterminer trop vite sa race et
maintenant nous avons faim.
Nous avions presque oublié le
goût de l'humain! Nous en étions réduits à nous entredévorer. Mais le voilà
descendu du ciel, et ce n'est qu'un début, d'autres viendront à sa suite.
Nous n'avons pas encore
assouvit notre haine contre la race qui nous pourchassa plusieurs millénaires.
Mangeons frères!"
Il pensa soudain à son pistolet
calorifique.
Pourquoi ne l'avait-il pas
employé plus tôt? Peut-être par peur d'être submergé par le nombre, mais
maintenant il était acculé.
Il dégaina et tira. La flamme
enroba les damnés sans leur causer le moindre mal.
Rien d'étonnant, que pouvaient
les armes matérielles contre le surnaturel?
Des armes étudiées pour tuer
des humains.
Alors que ces inhumains
défiaient le temps et la mort.
Ils se rapprochèrent de lui
avec un rictus méchant.
L'un se pourléchait les
babines.
L'autre s'aiguisant les canines
avec un vieux couteau rouillé.
La plupart étudiant déjà
l'endroit où ils pensaient mordre.
Certains surveillaient leurs
congénères à qui ils allaient disputer les morceaux.
Rix, tout d'abord trembla comme
une feuille.
Puis il se sentit étrangement
calme. Peut-être que tout homme qui se sait condamner à mort et n'a plus
d'espoir atteint un tel calme.
Il examina posément ses
chasseurs,
Ceux qui allaient le
déchiqueter, l'écorcher vif, lui crever les yeux, avaler l'objet de leur haine.
Soudain il ne pu s'en empêcher,
Il se mit à rire, et à rire encore.
Ce n'était même pas un rire
hystérique ou larmoyant. Non, un vrai rire, franc et pur comme le cristal, un
rire dégagé et merveilleux.
Ses assaillants le regardèrent
avec stupéfaction, puis avec horreur tt ils se disloquèrent.
Longtemps après cette
mésaventure, Rix racontait encore à ses amis incrédules l'histoire de
ces terriens probablement morts
d'avoir perdus le secret du rire.
D.L.
(011276)
J'aime bien ce jeu de mot, cimeterre,
utilisé aussi dans un film je crois, et cette idée de rire. Pour le reste, c'est
un climat d'horreur assez conventionnel.